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Numéro 24 WEB
1ère partie
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Le temps de l’œuvre


Christophe Fourel : Ma première réaction est une réaction d’émotion. Car l’une des caractéristiques de la personnalité d’André Gorz est d’abord sa discrétion et les occasions de le voir à l’écran sont évidemment rares. C’était un intellectuel qui a eu, je crois, beaucoup d’influence en France, dans l’histoire du syndicalisme et de la politique. Avec sa disparition à l’automne 2007, nous avons perdu un penseur d’envergure. Jusqu’à l’automne 2007 - avec la parution d’Ecologica, le dernier ouvrage qu’il a coordonné - nous nous situions encore dans le temps de l’écriture, de l’échange, du débat vivant. Maintenant, son œuvre est pour ainsi dire achevée : un temps nouveau commence, le temps de l’œuvre ; nous pouvons nous pencher sur elle, pour la commenter, l’inscrire dans l’histoire de la pensée. C’est important - me semble-t-il - compte tenu de son influence.

D’ailleurs il est interessant en ce sens d’écouter ce qu’il dit dans le film. Ce dernier a été réalisé à une période marquée par la parution de Métamorphoses du travail en 1988, qui est un ouvrage très important où il developpe une réflexion sur le travail et le sens de la rationalité économique. Ce livre est un ouvrage charnière puisqu’il y formule un certain nombre de points de vue, qu’il modifiera par la suite en partie dans deux autres ouvrages Capitalisme, socialisme, écologie (un recueil de textes qui date de 1991), et Misères du présent, richesse du possible (1997). C’est à ce moment là qu’il adhérera ou, du moins, plaidera en faveur de la création du Revenu d’existence. Au moment où il s’exprime dans le film, il n’en est pas encore un ardent défenseur. Il est encore le créateur et le promoteur de ce qu’il appelait à l’époque un revenu social garanti, qu’il avait conceptualisé dans un ouvrage antérieur Les chemins du paradis (1984).

Marie-Louise Duboin : J’étais également émue de voir André Gorz dans ce film. Je crois que c’est sa fragilité qui nous frappe. Il était tout, sauf polémiste. Je suis d’ailleurs étonnée qu’il se soit laissé filmer tellement il avait en horreur de parler en public. Ce n’était pas un polémiste, car son souci n’était jamais d’avoir raison. Son souci était plutôt d’aller au fond des choses, et de ne pas faire passer sa pensée avant celle des autres, mais de s’aider de la pensée des autres pour faire avancer la sienne. À propos de ce que vient de dire Christophe Fourel, je déplore juste que l’on n’ait pas suffisamment parlé d’André Gorz à l’annonce de sa mort. En Allemagne, et Dorine (la femme d’André Gorz) me l’avait confirmé récemment, il était largement plus connu et plus apprecié qu’en France.

Identités d’André Gorz et génèse de l’œuvre

Marc Kravetz : En Allemagne, aux États-Unis et en Italie le rayonnement d’André Gorz est plus important. Evoquer la personnalité d’André Gorz conduit également à s’interroger sur son changement d’identité, car il a eu une identité polymorphe : André Gorz s’appelait en réalité Gérard Horst (son vrai nom), mais aussi Michel Bosquet, le nom qu’il utilisera pour écrire à la fois en tant que journaliste économique à l’Express à partir de 1955 (Paris Presse aussi) et au Nouvel Observateur (qu’il co-fondera entre autres avec Jean Daniel en 1964), indépendamment de son entrée dans le comité de rédaction des Temps Modernes. Voici donc une identité ressortie d’un patronyme : on sait que "Bosquet" se dit "horst" en allemand. Par contre André Gorz reste, à mes yeux, une énigme.

Ce nom de Gorz n’est pas une énigme, même si André Gorz, lui, demeure une énigme à plus d’un titre. Gorz est le nom qu’il s’est choisi à la fin des années 1950. Il travaillait alors sur un ouvrage qu’il terminera beaucoup plus tard. Cet ouvrage visait à combler un manque dans l’œuvre de Jean-Paul Sartre, qui fut à la fois son maître et son ami, et entre autres celui qui lui a permis d’apprendre le français. Sartre lui permettra de sortir de la condition précaire qui était la sienne lorsqu’il vint à Paris. Gorz connaissait déjà par cœur l’œuvre de Sartre, lequel était déjà une star à l’époque. Il pouvait interpeller Sartre avec des trucs style : "À la page 239 vous dites une chose qui est en contradiction avec ce que vous dites à la page 138 !"

Sartre avait toujours affirmé, au moment où il écrivait La critique de la raison dialectique, qu’il manquait à son œuvre une morale, et qu’il travaillerait à cette tâche. Il ne le fit pas et ce fut André Gorz qui s’attela à ce travail qui servira d’amorce à l’écriture de son premier livre : Le traître. Entre temps, pendant qu’il travaillait à ce livre, qui n’est jamais sorti d’ailleurs, et bien que Gorz n’ait jamais eu la vocation de journaliste - il l’aura plus tard -, Sartre l’avait aidé à trouver un boulot dans un journal qui s’appelait Paris Presse. À cette époque le fait d’écrire dans un journal était un moyen de strict survie pour lui. C’est alors qu’on lui imposa un nom français.

Finalement le livre Le traître fut publié aux Éditions du Seuil en 1958 avec une abondante préface de Sartre, comme c’était à la mode à l’époque, et qui est assez remarquable dans la mesure où elle nous dit tout ce que Gérard Horst ne nous dit pas. Ce livre est d’abord le récit de l’échec d’un livre. Il voulait être à la fois le continuateur, l’héritier et le partenaire philosophique de Sartre. Il a écrit, écrit..., et on lui a renvoyé ce manuscrit à la figure. Sartre lui-même, que Gorz appelle Morel dans le livre, lui conseillera également à cette période de faire autre chose. J’espère que la nouvelle génération s’apercevra un jour de la qualité de ce livre, comme ce fût le cas de la mienne. Personnellement, c’est un livre que je comparerais aux Confessions de Jean-Jacques Rousseau. C’est le récit extraordinaire de sa vie nourrie par l’érudition folle qui était la sienne : l’histoire d’un petit juif, Autrichien, qui quitte l’Autriche en 1938, lorsque sa mère l’envoie à Lausanne pour suivre des études de chimie et où il obtiendra un diplôme d’ingénieur.

Tout ce que nous savons c’est que "Görz" est une petite ville située à l’intersection de trois frontières et qui a changé de main et de statut durant les différents épisodes de l’occupation nazie durant la Seconde guerre mondiale. Elle symbolisait une ville apatride et à l’identité floue, comme lui-même se percevait ainsi. La question "qui suis-je ?" est au cœur de ce livre fondamental qu’est Le traître. Et ce nom de "Gorz" était sans doute ce qui lui seyait pour donner un visage à cette quête d’identité.

Un autre livre, que je juge tout à fait remarquable, s’intitule La morale de l’histoire. Comme toujours avec Gorz, il s’agit d’un livre didactique, qui permet d’aborder d’une manière assez simple des questions complexes. C’est avec ce livre et Le traître qu’il accédera à une certaine notorieté. Comme je le disais, trois pays ont très favorablement accueilli André Gorz : l’Allemagne, l’Italie et les États-Unis, où l’on trouve de nombreux textes sur lui, des travaux et des études. C’est d’ailleurs aux États-Unis, où il a été invité pour intervenir, qu’il a rencontré Ivan Illich, lequel a contribué à l’épanouissement philosophique de sa pensée.

Christophe Fourel : Comme Marc Kravetz, je vous incite à lire Le traître qui est un ouvrage étonnant. Ce livre a été longtemps consideré comme largement influencé par Jean-Paul Sartre. André Gorz y a travaillé notamment parce qu’il venait de subir l’échec relaté par Marc Kravetz. Il avait remis à Sartre cet ouvrage improbable de 1500 pages qui, finalement, sera publié seulement en 1977 aux Éditions Galilée avec ce titre Fondements pour une morale. D’une certaine manière Fondements pour une morale, Le traître et La morale de l’histoire constituent une sorte de trilogie, en tout cas ces ouvrages composent la partie la plus philosophique de l’œuvre d’André Gorz. Héritière d’une phénoménologie existentialiste, cette trilogie s’inscrit dans la continuité de l’œuvre de Jean-Paul Sartre.

Il y a une anecdote intéressante à propos du Traître qui a été réédité deux fois, en livre de poche en 1978 et en 2005 en poche Gallimard. À cette dernière édition, André Gorz rajoutera un article à propos du vieillissement, lequel était paru en 1961 dans Les Temps Modernes. Pour la première fois, en 2006, il relit donc Le traître. C’est à l’occasion de cette relecture qu’il prend conscience qu’il y parlait fréquemment de Dorine sous un autre nom. Et il réalise alors le dur portrait qu’il brosse d’elle à l’époque. Il se sent alors l’obligation de réparer cela et de laisser à la postérité une toute autre image de Dorine. C’est cette résolution qui sera le moteur de ce très bel ouvrage Lettre à D. - D pour Dorine - une longue lettre d’amour absolument poignante et singulière dans son œuvre, et qui sera son dernier ouvrage.

Marc Kravetz : Quand je regarde ce film je suis ému, car tout l’homme y est. Dorine était, pour parler vulgairement, la moitié indispensable de Gorz. Si Gérard Horst était un homme particulièrement discret, Dorine avait une discrétion qui frôlait l’absence, sauf dans les cercles très intimes et ressérés où nous nous retrouvions. On sent la présence de Dorine dans ce film. Peut-être se produit-il là une contagion affective qui fait que je la vois là où elle n’en est pas. Gorz, lui, y exprime une sorte de fragilité. Il était extrêmement économe de ses gestes, avec un sourire qui m’évoque celui d’Alice aux pays des merveilles. Il ne riait jamais franchement, mais il affichait ce sourire persistant qui exprime une ironie absolue. C’est pour moi un immense personnage, avec une générosité que l’on décèle dans ce film où il préserve cette justesse de ton, avec une manière de dire les choses qui n’exclut personne.

Marie-Louise Duboin : Il convient en effet d’associer Dorine à notre hommage à André Gorz, parce qu’ils étaient vraiment les deux "moitiés" d’un tout exceptionnel. Leur complémentarité m’est apparue quand j’ai fait la connaissance de Dorine, un jour où ils m’avaient invitée à Ervy, ce devait être en 1984, donc peu avant l’enregistrement de ce film. J’ai été frappée, dans la personnalité de Dorine, par le contraste entre son apparence et sa compétence. Discrète, même effacée, elle a d’abord semblé ne pas être concernée par la conversation, comme si son seul souci était d’assurer l’intendance. Puis elle est intervenue presque en sourdine, avec la même sobriété que Gérard, et alors il est devenu évident qu’elle était partie prenante de toute son œuvre, qu’elle était au courant de toutes ses réflexions, auxquelles elle apportait un supplément. Par exemple, à propos de mon livre, qui était l’objet de notre rencontre, j’ai constaté d’abord qu’elle l’avait lu à fond, qu’elle en avait relevé certains détails de façon très personnelle et qu’en plus elle avait vu des prolongements. Quand elle m’a posé diverses questions, celles-ci révélaient une très grande attention et m’ont fait sentir combien une telle implication au quotidien et un tel désir de creuser, d’aller au fond des choses devaient constituer une aide efficace, même pour un penseur de la trempe de Gérard.

Le rapport au marxisme et à Marx

Yovan Gilles : Dans le film de Marian Handwerker, André Gorz hasarde une conviction quelque peu provocante. Selon lui, il n’existerait pas d’économie socialiste. En tout cas, si elle a tenté de s’édifier, elle aura démontré qu’elle n’est pas viable. Et Gorz de rajouter que, du point de vue de l’efficience de la rationalité économique, il n’y a rien de substituable au capitalisme.

"Qu’est-ce alors que le socialisme ?" demandait Gorz. Sans me prononcer à sa place, je dirais néanmoins à travers ce que je perçois de sa réflexion : ce serait disposer des outils de la rationalité économique capitaliste pour qu’ils servent à satisfaire à des finalités sociales, politiques et humaines, dans une société où le travail cesse d’être une marchandise. À ce propos, il existe un texte d’une dizaine de pages, daté de 1994 et sur lequel il est noté en exergue Ne pas diffuser, intitulé Sortir de la condition salariale. On y trouve, entre autres, cette affirmation qui me semble pertinente concernant sa position et sa défiance vis-à-vis d’un certain marxisme : "L’appropriation individuelle et collective du temps est la tâche qui dans le projet d’un socialisme post-industriel complète et remplace la fonction centrale attribuée dans le passé à l’appropriation collective des moyens de production et d’échange, et à l’abolition du salariat".

Dans son livre Adieux au prolétariat, paru au début des années 80, on constate une prise de distance avec le marxisme et des valeurs que ce dernier prônait : le productivisme, une forme de travaillisme et de célébration de la condition salariale. Une idée également d’André Gorz se profilera dans cet autre ouvrage Écologie et politique dès les années 1970 : s’il doit y avoir une émancipation sociale au capitalisme, celle-ci n’est réalisable qu’à la condition qu’elle repose sur l’autonomie des individus. L’individu, dans le cadre d’un projet d’émancipation du capitalisme, ne saurait être l’instrument de l’émancipation sociale, mais doit en être le sujet. Position qui le démarque de la position marxiste orthodoxe.

C’est pourquoi, aux début des années 70 Gorz prendra déjà ses distances avec le marxisme, ce qui l’amènera au sein de la rédaction des Temps Modernes à pointer également au passage une dérive maoïste qu’il condamnera. Mais curieusement, sa complicité et son intimité avec Marx ne s’est jamais démentie. En même temps qu’il se détourne des présupposés du marxisme, il ne cesse de dialoguer avec Marx. Cette perplexité à l’égard du marxisme lui a valu des attaques et des inimitiés. Aussi pourrions-nous peut-être revenir sur les rapports complexes d’André Gorz avec le marxisme, mais aussi Marx ?

peinture de Otto Griebel (Die Internationale, 1928-1930)

Jean Zin : Je ne sais pas si je suis le mieux placé pour évoquer la nature du rapport intellectuel de Gorz à Marx et au marxisme. Si nous avions des références communes, nous avions cependant des analyses divergentes sur d’autres sujets. Parmi toute son œuvre, je retiendrais un livre Misères du présent, richesse du possible qui est pour moi le plus important et dont je défends à peu près l’ensemble des propositions. La place des analyses de Marx est essentielle chez Gorz et pour l’écologie en ce qu’elles permettent d’expliquer le productivisme du capitalisme basé sur la plus-value, la valeur-travail et l’augmentation de la productivité. C’est une interprétation écologiste de Marx qui le distingue assez fortement des marxistes habituels et qui a le mérite de ne pas faire du productivisme un état naturel mais un effet systémique. À ce propos, il souligne dans le film que le fait de travailler 12 heures par jour au 19ème siècle n’est pas arrivé tout seul et qu’on y a contraint les salariés par la baisse des salaires. Effectivement, nous pouvons conclure comme il le fait et comme nous le montre actuellement le dit "miracle chinois" que le capitalisme est beaucoup plus efficace que le socialisme s’il s’agit de produire de la richesse. Marx d’ailleurs ne le contestait pas, tout comme Gorz. Mais affirmer que la gestion capitaliste est d’une efficacité sans réplique ne veut pas dire qu’elle est souhaitable pour autant passé le seuil de la survie. Et ce sont les impasses de la logique capitaliste que le Gorz écologiste décrira finement.

Un autre aspect important de sa complicité avec Marx (et non avec le marxisme) concerne la réification, le fétichisme de la marchandise, sauf qu’il lui oppose une économie de la gratuité que je trouve pour ma part complétement utopiste. Il faut bien dire que Gorz n’a pas été tellement reconnu par les écologistes français qui avaient d’autres références. Son importance pourtant est d’avoir mis l’autonomie de l’individu au cœur de l’écologie et de l’avoir politisée, ayant été l’un des premiers à parler d’écologie politique dans les années 70. Si je reste sensible à ce qui est dit dans le film, je répète que la véritable rupture est celle qu’opère son ouvrage Misères du présent, richesse du possible, où il fait une analyse frappante de la société actuelle avec une capacité de remise en cause du système économique totalement novatrice.

Christophe Fourel : Dans toute son œuvre, Marx reste pour Gorz une référence fondamentale. Je lui avais fait remarquer un jour son inscription dans cette filiation de Marx. Marx était pour lui un auteur fondamental : pas seulement le Marx du Capital, mais également le Karl Marx jeune philosophe. Comment alors s’est-il situé par rapport au marxisme, en tout cas par rapport à un certain marxisme ?


Déjà il ne pouvait pas faire autrement que de se positionner par rapport au parti communiste. Il le contestait, notamment sa conception quasi religieuse du prolétariat. Le parti communiste affirmait que le prolétariat porte le sens de l’histoire. Gorz répondait qu’il restait à démontrer si c’était le bon sens.

Adieux au prolétariat, qui paraît en 1980, lui vaudra beaucoup d’inimitiés dans le monde du syndicalisme (un monde qu’il avait d’ailleurs fréquenté et avec lequel il continuera de dialoguer). Les leaders syndicaux lui reprochèrent l’opinion selon laquelle le mouvement ouvrier ne serait pas l’instance où élaborer une pensée post-capitaliste. C’est aussi à partir de cet ouvrage qu’il commence véritablement à réfléchir sur le monde du travail, à essayer de montrer le rôle que peuvent avoir ceux qui, dans le film, il appelle "les intérimaires", "les périphériques" : c’est-à-dire les marginaux, les déclassés qui dans Adieux au prolétariat sont présentés comme "la non-classe des non-travailleurs" ; toutes ces personnes qui ne sont pas des exclus mais des individus qui sont mis dans l’impossibilité de s’identifier à leur travail salarié et qui aspirent, non pas à un emploi meilleur, mais à une vie où les activités autonomes prennent le pas sur ce qu’il appelait les activités hétéronomes. Ce livre entame sa réflexion sur l’évolution du capitalisme et une société de plus en plus soumise à la discontinuité du travail.

Jean Zin : Ce qui me semble important aussi c’est qu’il remet en cause l’appropriation collective des moyens de production - qui ne lui semble pas changer fondamentalement le capitalisme, devenu simplement capitalisme d’État. Son attention se porte davantage sur la transformation du travail lui-même et de la vie du travailleur. Voilà en quoi réside son opposition au marxisme officiel. Pourtant, il restera très attaché à la théorie de la valeur. Dans son dernier texte, il reprendra une théorie de la valeur complètement orthodoxe d’un point de vue marxiste.

Marie-Louise Duboin : photographie de Auguste Sander (manoeuvre 1929)Effectivement, Gorz dit adieu au prolétariat en écrivant que "pendant plus d’un siècle l’idée du Prolétariat a réussi à masquer son irréalité" et il ose constater que dans la société post-industrielle, donc post-Marx, "cette idée est aujourd’hui aussi dépassée que le Prolétariat lui-même". Il s’agit, dit-il, d’une véritable mutation qui implique une "subversion radicale" de l’échelle des valeurs et des rapports sociaux (lire un extrait de Misères du présent, Richesse du possible).
Mais il se présente aussitôt comme le continuateur de la pensée de Marx en soulignant qu’il avait vu venir cette mutation et il cite les Grundrisse à l’appui, dans lesquelles Marx annonçait que la vraie richesse ne viendra bientôt plus du travail salarié : "Dès que le travail en sa forme immédiate a cessé d’être la grande source de la richesse, le temps de travail cesse et doit cesser d’être la mesure de celle-ci et donc la valeur d’échange d’être la valeur d’usage". Il insiste sur cette idée, plus tard, dans L’immatériel, en écrivant que la notion de valeur d’échange n’a plus de sens aujourd’hui par rapport à la mutation du système de production, et que l’apport du travailleur à la production est dorénavant difficilement quantifiable, donc évaluable.

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