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Numéro 24 WEB
Extrait (André Gorz, Misères du présent, richesse du possible)
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Je ne sais pas si ma manière de vouloir libérer des désirs, désentraver des imaginations aura été la bonne ; ni si des politiques allant dans le sens des orientations que j’ai esquissées seront jamais conduites. À ceux qui les rejettent d’emblée comme une "utopie", je dis seulement que l’utopie, au sens que ce terme a pris chez Ernst Bloch ou chez Paul Ricœur, a pour fonction de nous donner, par rapport à l’état de choses existant, le recul qui nous permette de juger ce que nous faisons à la lumière de ce que nous pourrions ou devrions faire. Je sais en revanche qu’il ne nous reste pas vingt ans pour réparer nos omissions passées. Car ce qui se met en place tout autour de nous est une utopie au sens étymologique du terme : une sorte de déréalité réelle qui se surajoute aux décombres d’un monde défunt, tisse un monde second, dit "virtuel", sans temps, ni lieu, ni épaisseur, ni résistance, dans lequel chacun est partout à la fois, donc nulle part, tout lieu étant un "n’importe où" interchangeable avec tous les autres et chaque personne à une place qui, quelle qu’elle soit, n’est jamais la sienne propre. U-topie : monde dématérialisé, acentré, aliéné aux rythmes du corps, aliéné au besoin des sens de se construire en construisant par un travail toujours inachevé une réalité qui s’oppose à eux et leur résiste.