Les périphériques vous parlent N° 8
JUILLET 1997
p. 10-11

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résister pour exister

De l'Éducation aux capacités à construire son devenir...

Le travail d'éducateur ne consiste certainement pas à intégrer des jeunes à un monde qui produit de l'exclusion.

Pourquoi écrire ? Pour m'exprimer ! À quel propos ? À propos de ma rage, de l'envie d'exister. Du besoin qui est mien de ne pas me laisser entraîner dans la déconfiture générale, par la délégation de pouvoirs à des soi-disant responsables mus par leurs propres intérêts politico-financiers. De la peur qui est mienne d'être un jour mis au placard, précarisé, SDF, délinquant, exclu ?

Exclus, exclos, esclaves
 
 

La vie du rail

“Incrédulité, d'abord. Effroi, ensuite. L'affaire est incroyable mais pourtant vrai. Le 6 février, vers 5h15 du matin, une jeune anglaise se suicide en se jetant sous un train. Le drame se produit sur le réseau ferroviaire de la Great Eastern Line entre Shenfield et Southend dans l'Essex. Et il ne passe pas inaperçu du conducteur du train qui en réfère à la compagnie et à la police.

Et c'est là qu'une décision inouïe va être prise. « Roulez ! », ordonne la compagnie. Le convoi repart. Le cadavre reste sur la voie. Et vingt autres trains vont, pendant quatre heures, passer sur le corps. Leurs conducteurs en ont reçu l'ordre au motif impératif de l'intérêt « des voyageurs des heures de pointe qui, sinon auraient été confrontés à de très importants retards ».

Cette décision prise, paraît-il en commun avec le Railtrack, organisme coordinateur de la circulation, et la police a provoqué, on s'en doute, quelque émoi. Du moins, quand elle fut connue, c'est-à-dire un bon mois après. Dans une revue, la Locomotive Union, le secrétaire général de l'Aslef, organisation syndicale de cheminots a révélé, mardi, toute l'affaire : « Une vingtaine de conducteurs ont vécu l'expérience traumatisante, d'avoir sur instruction, à rouler sur le corps, gisant sur la largeur de 4 pieds qui existe entre les rails, et juste recouvert d'une couverture ».

Expérience traumatisante. Et décision insensée. À tel point que le patron de l'Aslef, Lew Adams, en situe l'origine dans un simple souci des comptes : « Tout fut fait pour préserver le profit et pouvoir éviter d'avoir à rembourser aux voyageurs des pénalités de retard pour service interrompu. » Avant d'ajouter : « Jusqu'à quel point le nouveau régime des chemins de fer privatisé peut-il devenir malade ou indifférent ? »

On ignore tout à fait si la privatisation a quelque chose à voir avec cette dérégulation des mœurs et des comportements. Mais l'affaire fait scandale en Grande-Bretagne.”

extrait d'un article de Pierre Georges paru dans Le Monde du 20 mars 1997

 

Heureusement aujourd'hui j'ai un emploi qui me satisfait pleinement. Qui me permet d'activer mon cerveau, de donner du sens à ce que j'ai toujours eu envie de faire, éduquer... Au final être utile, être actif, apprendre aux autres tout en apprenant des autres.

Mais après tout, pourquoi résister à mon ego, pourquoi ne pas me réfugier dans le « c'est pas moi, c'est les autres » ? J'ai un bon salaire, un appartement correct, de quoi faire vivre mes enfants plus tard. Je pourrais m'en satisfaire ?

Chaque acte a un sens. Il porte en lui un degré de responsabilité. Du pourquoi on fait ? À quoi ça sert ? Quelle utilité ? Mais pour moi il est des actes qui relèvent de la survie (donc du bouffer l'autre) et des actes qui relèvent de l'existence-résistance (Cf Périphériques).

« Nous sommes tous des éducateurs en puissance », me disait un jour quelqu'un. Nous sommes tous amenés à avoir des enfants, à les élever. Quel avenir pour eux ? Dois-je les préparer à être livrés à eux-mêmes, à rentrer dans le système qui veut que l'on tue l'autre avant d'être tué ? La violence engendre la violence disait l'autre. Mais à y regarder de plus près, la violence peut prendre plusieurs formes, dans le travail, dans l'inactivité, l'inutilité, l'exclusion... Est-ce que je dois apprendre à mes enfants à assumer me disait un jour quelqu'un. Nous sommes tous amenés à avoir des enfants, à les élever. Quel avenir pour eux ? Dois-je les préparer à être livrés à eux-mêmes, à rentrer dans le système qui veut que l'on tue l'autre avant d'être tué ? La violence engendre la violence disait l'autre. Mais à y regarder de plus près, la violence peut prendre plusieurs formes, dans le travail, dans l'inactivité, l'inutilité, l'exclusion... Est-ce que je dois apprendre à mes enfants à assumer le choix d'être esclave, marginal ou requin ?

À partir de là, une question se pose, et elle remet en question tous mes préjugés, tous mes actes, continuellement: qu'est-ce que je peux faire pour que mes enfants, et ceux dont je m'occupe, puissent réinventer le monde dans lequel ils vivront, pour qu'ils puissent être acteurs au sens plein du terme ? Pour qu'ils soient capables d'inventer leur devenir, au sens où les Périphériques l'emploient ?

Tout acte éducatif se doit de permettre à l'élève, à l'enseigné, à l'enfant, de développer ses capacités d'invention et d'adaptation. Adaptation à son environnement et invention d'un environnement stimulant. Adaptation à son travail et invention de nouvelles formes d'activité. Adaptation aux situations problèmes et inventions de solutions à ces mêmes situations problèmes.

Manif. Paris - Pl. de la République
Photo : Tessa Polak

Ceci nécessite de savoir où l'on se trouve, quel est le contexte, de savoir quel sens on donne à ses actes. De ne pas développer le chacun pour soi, réinventer sans cesse la démocratie, se sortir de l'illusion d'acheter, du pouvoir.

Rien de tout cela n'existe dans école que j'ai connue.

On me dit que mon rôle est d'aider les enfants, les ados à s'intégrer. Mais à s'intégrer à un système qui produit de l'exclusion !? Non merci, pas pour moi...

Je ressens plutôt le besoin de permettre à des enfants de se développer, d'inventer des formes communicatives qui leur permettent de s'enrichir mutuellement, à apprendre à ne plus regarder l'autre comme une contrainte, un concurrent, mais plutôt comme un acquis, par qui l'on peut apprendre, se développer. Et la boucle est bouclée.

Bien sûr ce projet est difficile et relève du long terme, car moi-même je dois sans cesse remettre en question ma pédagogie, mes connaissances, mes actes.

Mais l'enjeu est trop important pour passer à côté. À quoi cela sert-il d'apprendre à être un requin si au bout d'un moment sur ma route je trouve un autre requin plus fort que moi ? Sortir de cette spirale, de ce système voué forcement à l'échec - quand une énorme majorité de pauvres, d'exclus, ne pourront s'acheter les biens vendus par une infime minorité de riches, ce sera le chaos final.

Ni révolutionnaire marxiste, ni de droite ou de gauche, ni raciste, anarchiste, terroriste ou quelque « iste » que ce soit. Le sens de mes actes est d'éduquer l'enfant et moi-même par la même occasion à se construire en devenir, à construire son devenir.

Alors en ce sens, il se peut que mon projet soit subversif.

Fahrid Bensikhaled
Animateur sportif en Île-de-France à la Fédération Sportive et Gymnique du Travail


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Les périphériques vous parlent, dernière mise à jour le 23 avril 03 par TMTM
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