Les périphériques vous parlent
Dossier de Presse

Article paru dans Futurs du 28 novembre 1996 :

Week-end de mobilisations
États fragiles

Trois cent cinquante à la porte de La Chapelle pour les États Généraux du mouvement social, deux cent cinquante rue de La Roquette à l'appel des Périphériques vous parlent pour les premiers États du devenir, cinq mille à la place de la République contre la censure de chanteurs de rap, la Mutualité quasiment comble pour les premiers entretiens nationaux sur l'éducation organisés par la FSU, pendant que le mouvement des routiers s'amplifiait, ce week-end aura été celui de multiples mobilisations.

Il y a un an, dans la foulée des événements de novembre et décembre 1995, une centaine d'intellectuels lançaient un appel pour la tenue d'États généraux du mouvement social. La fréquentation irrégulière aux collectifs de travail régionaux ou départementaux laissait planer un doute sur la probable participation à ces États généraux. Le rôle des intellectuels était un des enjeux. Ils s'étaient engagés à se nourrir autant du mouvement social que de lui apporter leur réflexion et leur expérience. Cette première session n'était pas à prendre comme une vérification du bien-fondé de l'opération. Elle a rassemblé trois cent cinquante personnes (c'est peu et beaucoup en même temps) pendant une journée (C'est très court). Il y eu des échanges, des informations, du travail et des réflexions parfois mis en commun, souvent juxtaposés, quelquefois conflictuels. Une volonté générale évidente de ne pas en rester là s'est exprimée, accompagnée d'un sentiment de peur rétroactif d'avoir pu rater cette étape.

Ces États généraux étaient si incertains qu'ils tenaient du pari. Il est à moitié gagné. « Le plus facile est fait », reconnaissait un participant à l'assemblée générale de clôture menée tambour battant, où la prise de parole fut enfin distribuée efficacement. Car, pour ce qui est « d'inventer et d'élaborer des formes nouvelles d'organisation, adaptées à un mouvement et à une action d'un type nouveau », (demande formulée par Pierre Bourdieu et partagée - dans le discours - par les intellectuels), nous sommes restés en panne sèche. Plus classique, tu meurs, pourrait-on dire, devant le scénario style « grande messe » dite, en vedettes principales, par ceux-là mêmes qui dénoncent le « star système » que les médias voudraient instaurer dans le mouvement social. Une heure d'interventions écoutée par un public serré et en partie entassé dans le couloir faute de place, débuta la session. Il n'est pas question ici de nier l'intérêt des propos, des analyses exprimés, mais, si nous voulons réellement changer nos pratiques, nos manières de travailler, cela commence par abandonner les bonnes vieilles méthodes unilatérales (de la tribune vers la salle) et établir une équité entre tous les niveaux d'interventions. « Décentraliser les initiatives de cette nature, dira Monique Vuaillat de la FSU, ne pas limiter à une poignée d'intellectuels parisiens et élargir les composantes, syndicales, » « Étudier la classe dirigeante », proposa Pierre Cours-Salie, « éviter que ces États généraux soient un dialogue entre syndicalistes et intellectuels en laissant dehors l'autre France », alerta Alain Lipietz. Il faut avoir l'ambition de sortir de la hiérarchie politique-syndical-associatif. « Le dernier intervenant regretta la pauvreté culturelle des débats. »

C'est précisément ce qui était au centre des « États du devenir », qui furent un coup de fouet pour tous ceux qui avaient fait le choix de passer trois jours (c'est juste assez) rue de la Roquette. L'ambition affichée était de « chercher ensemble », et de tenir pour aussi important le fond et la forme des débats et des pratiques. La salle polyvalente de la Roquette devint alors le théâtre de l'expression polyvalente de la citoyenneté, de l'engagement philosophique ou artistique. Il s'est passé quelque chose d'important pendant ces trois jours, terminés debout au rythme des rappers de Villeurbanne et Lyon. L'organisation a bégayé, certes, c'est le charme de tout ce qui ose inventer. Il y avait une belle énergie, impulsée par un groupe de jeunes étudiants, artistes, chômeurs, professeurs, qui met en résonance une pratique artistique, philosophique et citoyenne, un public disponible qui s'est engagé et s'est mis en marche et en réseau pour assurer un avenir aux États du devenir. Fait prometteur et plus que symbolique, les deux « États » se sont connectés, l'un par une expression théâtrale (une saynète sur la pauvreté au Royaume-Uni présentée à la porte de La Chapelle par Génération Chaos) et l'autre par une intervention de Jacques Kergoat à la Roquette. Ces « États », précaires certes, c'est décidément le tribut de notre époque, s'annoncent comme des États d'espoir.

Jane Renoux


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Les périphériques vous parlent, dernière mise à jour le 22 avril 03 par TMTM
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