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Numéro 30 WEB
Les conditions du lisible 3 : De la complexité
photo d’Alexandre Chemla
Par Marc’O |

Sommaire

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À la lettre près, les mots se suivent dans la phrase, impossible de déroger aux lois de la phonétique et moins encore de la grammaire. Manque une lettre ou une lettre est-elle déplacée dans un mot, et ce n’est plus le même mot. Je vais quand même essayer de te répondre, Cristina, à la lettre près.

Difficile ! Difficile ! À moins de se retrouver sur un terrain,
de l’autre côté des merveilles,
que nous appelons le poïétique aux Périphériques.
Je me lance.

De l’autre côté des merveilles,

un sentiment profond me pousse vers la saveur qui s’attache à la lettre. Mais, je laisse le dernier mot à la littérature, sans te cacher que mon amour va en premier lieu à la brave petite lettre au service de tout le reste, c’est-à-dire de la langue que Jacques Lacan orthographie lalangue. « La pyramide de la complexité », pense Hubert Reeves.

Je me tais. Elle me demande de poursuivre.

À ce propos, l’astrophysicien fait une petite remarque, paraphrasant Jacques Lacan qui avance que « la nature est structurée comme un langage », il explique que cela s’est fait par étapes : « Vous prenez des lettres, vous faites des mots, ces mots ont un sens. Ce sens est une propriété émergente de l’association de lettres, qui n’est pas présente dans chacune des lettres prises séparément. Puis vous associez les mots, vous avez des phrases ; vous associez les phrases, vous en faites des paragraphes, des chapitres, des collections. »

- Cette intrusion dans le miroir d’Alice définit pour toi la complexité ? Cristina insiste. C’est ça ? Je poursuis :

- Oui. Cela peut être un premier pas. Bon, disons que je me propose d’utiliser lalangue (orthographe de Lacan) en associant l’écrit à la parole et la parole à l’écrit. C’est une prétention lourde de conséquence. Enfin, c’est ce que je pense. Elle m’amène, non seulement à travailler sur les mots (l’écriture, le style, la grammaire, la syntaxe) et les paroles (les lois de l’articulation phonétique, les rythmes poétiques, la tonalité et la musique des sons) mais surtout, et là tout est à imaginer, elle m’engage à les associer dans un langage commun, inévitablement complexe.

Cristina me coupe :

- Tu compliques. Tu ne crois pas que les choses sont assez complexes, comme ça ?

Complication, complexité. Tu me ramènes sur un terrain très fragile. Incertain. L’idée de complexité, c’est vrai, engage toujours une longue prospection, c’est une quête difficile, l’aventure de notre époque, peut-être ?

Pour le moment, je me contente de faire remarquer à Cristina
que la complexité ne tient pas à l’auteur
qui complique les choses pour « ramener sa science ».
C’est la vie, le réel, l’imaginaire, le symbolique confondus,
qui génère une complexité permanente.
La vie commence avec la complexité, ensuite, on essaie de simplifier.
Au résultat, on a le sentiment que tout devient toujours plus complexe,
en même temps, plus simple.
Oui, ce paradoxe existe et l’on s’aperçoit alors que l’idée de simplicité trimbale
dans toutes ces entournures une problématique complexe.

Les difficultés surgissent à tout moment, partout. Nous devons nous rendre à l’évidence, nous sommes immergés dans un contexte où coexistent, s’associent, s’opposent le simple et le complexe. Il ne peut être question de réduire le simple au simplisme, ni d’imputer la complexité aux prises de têtes des intellos. Nous n’avons d’autres choix que de comprendre ces contradictions qui nous rebutent ; le verbe comprendre, dès lors implique toujours l’activité d’apprendre, plus concrètement encore « apprendre à apprendre », en premier lieu, à se mouvoir dans « la complexité naturelle » du monde des humains. Pour les chiens, pour les chats, pour les lions qui sont des rois, c’est peut-être autre chose. Mais naître homme ou femme, c’est toujours naître à la complexité. Il y a là une astreinte de la vie, comme respirer, boire, manger, dormir, penser, jouir. Répondre à toutes ces contraintes crée la complexité, nous ne pouvons nous y soustraire.

Cristina se contente de sourire pour finir par me demander si mon hypothèse n’est pas d’encourager, d’encourager le lecteur à s’écouter soi-même quand il veut s’en remettre à l’œil et à l’oreille pour goûter à la saveur d’un savoir qui concerne non seulement l’esprit mais le corps impliqué dans la vie.

- Comme c’est bien dit, Cristina. Quant à moi,

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