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Numéro 30 WEB
Les conditions du lisible 9 : De l’embrouille à la débrouille

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À ce propos, Bruno Latour fait une distinction entre le « savoir clé en main » et « le savoir en train de se faire ». Dans l’état actuel des choses, l’hégémonie de la mondialisation économiste, tout est calculé pour que nous n’arrivions jamais à cette différenciation. Il en résulte pour nous tous, amis et ennemis dans le même sac, les embrouilles, les inextricables enchevêtrements qui nous égarent à chaque pas osé, au point de ne plus arriver à distinguer la gauche de la droite, la distinction se faisant maintenant entre « bien à droite » et « mal à droite », cette dernière expression, cher lecteur, chère lectrice, à écrire en un seul mot au masculin « maladroit », pour bien nous comprendre et ceci, c’est précisément ceci que je veux bien faire entendre, à tous les niveaux de lalangue qui exprime la vie des femmes et des homme de notre globe. Voilà pourquoi je vous conjure de sortir de l’embrouille.

Le terme embrouille appartient
aujourd’hui à l’argot des banlieues,
là où s’entassent les classes dangereuses
(expression de Alice Becker Ho).
Dans un sens large, le terme argot recouvre
les langages des exclus, de la racaille,
du Milieu, des truands, des délinquants,
les gitans et manouches et tous les nomades
qui hantent les villes, urbains, sub-urbains.
Le jargon, lui, concerne, au départ, les métiers,
mais il s’étend maintenant à toutes
ces populations verrouillées à l’intérieur
de territoires-niches où elles s’épuisent
à tout tenter pour ne pas sortir
des rêves nés morts-nés qui constituent
leurs existences, leurs non-existences,
diront certains, le lot de beaucoup, en tout cas.
À la périphérie des niches,
on trouve les avant-gardes spontanées,
toujours en débandades, en prison ou en cavale.
J’ajouterai qu’en France, des transfuges des classes déclassées
qui ont constitué pendant un temps la bourgeoisie des cadres,
petits, moyens et grands, reconstituent depuis près d’une décennie
une sous-classe, les Bobos, des gens qui se considèrent disqualifiés.
Ces exclus des classes dirigeantes manifestent parfois
des intentions révolutionnaires, mais elles se transforment rapidement
en « coups de gueules » vite auto-muselés et en velléités pleurnichardes
devant les miettes que leur laisse les nouveaux aristos, les Nantis de tout.
En vérité, ces « pitoyables petits bourgeois », évoqués en son temps par Bertold Brecht,
contaminés par la jactance des volières du médiatique et de la publicité,
n’ont plus que leurs yeux pour pleurer et leurs oreilles pour ouïr les bruits de la vie,
la leur en premier lieu, qu’ils regardent se dissoudre sur un écran d’ordinateur
ou contemplent hébétés à la télé. Certains conjuguent le cynisme avec le mot d’esprit.
« Quand on n’a pas d’esprit, on en fait », disait François Dufresne.

Allez, allez, allez...
Positivez ! enjoignent les Directions,
« l’été indien a encore quelques beaux jours ».
Ce n’est pas si sûr.

L’embrouille, en fait, est l’expression sociale d’une situation absconse. Y répondre demande à tout narrateur s’exprimant à partir de l’écrit de s’en remettre aussi (je dis bien aussi et pas uniquement), au registre métalinguistique de lalangue en général, non seulement de la langue maternelle, mais aux argots des classes dangereuses et aux jargons des métiers des communautés humaines repliées dans leur for intérieur, la niche, toujours (relire la note ci-dessus). Il me semble utile de préciser que l’embrouille ronge tout autant les autres modes d’expression image, son) ou le vivant (théâtre, musique, cinéma. Dans tous ces domaines, la remise en cause des modes expressifs, qui accompagne la recherche et la réalisation des œuvres théâtrales, musicales, cinématographiques et autres performances, s’impose à tous les destinateurs et destinataires, auteurs et publics. Le mot création lui-même demande à être à tout moment et partout consciencieusement redimensionné pour indiquer le sens qu’il prend dans les histoires hétéroclites de l’art. C’est ce contexte, en tout cas, qui a incité les Périphériques à proposer le mot poïétique pour évoquer la genèse de l’art dans l’invitation de Lautréamont : « la poésie doit être faite par tous est pour tous ». Cette proposition de l’auteur « Des chants de Maldoror » s’avère, de nos jours, pour moi, comme la plus prometteuse perspective d’un devenir qui se mesurera aux critères générés par les œuvres produites dans le cadre d’un espace/temps évolutif. L’ethnoscénologie qui étudie les relations des femmes et des hommes sur toutes les scènes de la vie, pourra dans cette conjoncture offrir les critères, les possibles, les recours plus pertinents pour concevoir une Histoire de l’art ou simplement le penser autrement.

Lire la suite : L’être en devenir, et le devenir de l’être