Les périphériques vous parlent N° 7
NOVEMBRE 1996
p. 19-21

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TRACT'EURS


Photo : Tessa Polak

Vendredi 22 novembre 1996, premier jour des États du Devenir, 16h, pendant que les Périphériques vous parlent, neuf tracts sont distribués rue de la Roquette, du Père Lachaise à la Bastille. Conçus par neuf praticien(ne)s et théoricien(ne)s de l'art, ces tracts anonymes s'entretiennent par écrit et par image. Les propositions, se répondant les unes aux autres et s'interrogeant sur la possibilité d'être citoyen aujourd'hui - en France et dans le monde - s'appuient sur des photographies et des textes qui, tout en étant très différents, forment une unité tractive.

Le refus d'une hiérarchisation dans le processus créatif et social - le tract se donne de main en main - crée une diffusion dont le mouvement est horizontal. À aucun moment l'acte - le geste de distribuer - ne se transforme en action. Le terme est à considérer dans le sens d'une action artistique qui se voudrait médiatisée ou mise en spectacle par la présence d'acteurs du « monde de l'art » venus en spectateurs. Les tracts et les tract'eurs sont et restent anonymes. Il n'y a pas de revendication car ce qui est sur le papier de format A5, c'est une image, plus un texte, plus un texte, plus une image... et les passants-promeneurs qui les reçoivent - eux aussi anonymes dans la ville - réagissent avec toutes les habitudes de réception ou de non-réception générées par une mise à l'épreuve urbaine quotidienne.

Qu'ils soient transis de froid le 22 novembre à la sortie du métro sur la Place de la Bastille, furieux le 23 à la manifestation de soutien au groupe NTM sur la Place de la République, mouillés par la pluie le 24 à Belleville, à la fin, ils ont entre leurs doigts, une, deux, trois ou neuf traces qui se superposent et ces mêmes passants-promeneurs, par leur présence, sont implicitement impliqués dans le devenir - la transmission - de l'acte. Ils deviennent à leur tour acteur-passeur d'un moment même furtif (garder ou ne pas garder le papier) juste parce que, l'espace d'un instant, ils ont jeté un coup d'œil sur une forme conçue pour eux, parce que cette forme parle de citoyenneté et parce que peut-être ils vont eux-mêmes en parler.

E.Z.

TRACT'EURS : nom pluriel, néologisme (contraction de tract et acteurs).

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Les périphériques vous parlent, dernière mise à jour le 25 avril 03 par TMTM
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C'était l'image de Marianne que je cherchais derrière le modèle « éclaté» de la photographie de William Klein, elle exprime toute la vulgarité de la citoyenne prêt-à-porter et si peu prête à partager...

Sonia Biard
 


La page blanche du tract est un espace symbolique : celui du possible. C'est un « espace démocratique », mais ce texte est écrit à la limite du lisible, à cheval sur l'extérieur de la feuille. Qu'en est-il de notre propre espace citoyen ?

Natacha Nisic
 


Bien qu'anonyme, je voulais que le tract raconte une histoire personnelle. L'image choisie est extraite d'un livre intitulé Les tracts, qui date de mon enfance (je suis née en 1968) et qui a été publié à Pékin en 1965. Entre trois et cinq ans, je n'avais pratiquement que des livres chinois faits pour les enfants. Une « objectivité » était impossible par la suite. C'est avec ces mêmes livres que j'ai compris ce qu'était l'humilité et la générosité (une petite fille de quatre ans, de service dans une école maternelle, qui distribuait les biscuits pour le goûter, et gardait ceux qui étaient cassés pour elle), le courage et la solidarité (deux sœurs de cinq et sept ans qui sauvaient le troupeau de moutons de la commune lors d'une tempête dans la colline), l'exploitation (un propriétaire terrien faisait chanter le coq à minuit pour que les journaliers se réveillent plus tôt et travaillent plus). Et, toujours à partir de ces images (je ne lisais pas encore) puis avec les textes, j'ai compris que l'Autre et les autres existaient avec toutes leurs différences, qu'il y avait le respect. La citoyenneté, elle commence à l'enfance et je voulais faire un tract pour les enfants. Au début, j'avais inscrit une phrase extraite du dernier film de Raymond Depardon Afriques, comment ça va avec la douleur ? où il dit que « le seul privilège des enfants en Angola, c'est de devenir adulte », mais c'est une phrase que les enfants ne peuvent pas encore comprendre, alors j'ai mis une partie du livre cité. J'ai principalement distribué le tract aux enfants, même ceux dans les poussettes.

Elvan Zabunyan
 


Plutôt que des français d'abord, d'abord des citoyens !

Christophe Marchand-Kiss
 


Deux photos extraites d'un film documentaire de Radovan Tadic. Une femme qui fait les cent pas à l'hôpital de Sarajevo. Ses bras tremblent en permanence. Elle fait les cent pas de gauche à droite au fond d'un couloir. Elle tremble depuis ce jour, où dans la rue, un obus a éclaté près d'elle, tuant ses proches. Elle tremble en répétant cette phrase à la caméra, « Pouvez-vous m'aider à arrêter de trembler ». Elle tremble toujours. Je ne pourrais pas l'aider à arrêter de trembler. Nous sommes presque 6 milliards d'habitants sur cette planète, plus des trois quarts d'entre nous tremblent chaque jour pour des raisons différentes.

Roberto Martinez
 


« Une rue, un réseau. Un plan. Des rues sans noms. S'y perdre, s'y retrouver. À la rue. Vous êtes ici. Avoir une adresse, ou de l'adresse. Se conduire, s'orienter. Choisir une trajectoire, un but. Un point de convergence pour nos pas, pour nos efforts aussi. Une cité. Un lieu commun ? »

Claire-Jeanne Jézéquel
 


Cette photo fait partie d'une série réalisée sur plusieurs années. Je ne veux rien ajouter à cette image, elle a une telle valeur visuelle pour moi.

Martin Wolf
 


À l'origine, cette phrase est tirée d'un tableau de statistiques du Programme des Nations Unies pour le Développement. « Il y a 47 pauvres de plus chaque minute dans le monde. » Citée par Libération, rapportée par Les périphériques vous parlent, détournée par Ne pas plier et récupérée par moi-même lors d'une réunion préparatoire pour les États du Devenir, ma phrase n'est pas ma phrase, elle est la rencontre grotesque de « la statistique » et de « l'artistique » comme une partie de catch, un corps à corps aussi. - 47 cm - la distance qui sépare un tract'eur du passant-receveur.

Antonio Gallego
 


La génétique et la biologie moléculaire régissent actuellement le monde scientifique au même titre que la théorie localisationniste à la fin du XIXème siècle (une fonction cérébrale donnée étant sous-tendue par un groupe de neurones donné). Des gènes peuvent être défectueux et de ce fait, synthétiser des molécules anormales, responsables de comportements « pathologiques » : on connaissait déjà le rôle du chromosome Y surnuméraire impliqué dans l'atavisme criminel, et depuis peu on s'intéresse aux gènes de l'homosexualité. Une hypothèse réductionniste consisterait à découvrir l'antidote, pour traiter ces comportements. Pourquoi ne pas imaginer un gène de l'intolérance (intolerantia) ou de la ségrégation (segregatio) influant sur une localisation cérébrale (locus, area), qui en modifiant la fonction, générerait ces comportements. Une lobectomie (ablation de la région pathologique) serait ainsi un traitement envisageable.

Jean-François Chermann