Les périphériques vous parlent N° 2
AUTOMNE 1994
p. 31-34
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Arguments et propositions
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Université, des lieux de transit aux lieux de vie

La société louvoie à la recherche d'un système éducatif efficace. Les changements actuels laissent penser que le système éducatif, et plus particulièrement l'université, gagnerait plus à concevoir des espaces pilotes où se former aux transformations du monde du travail et de la vie sociale, qu'à se plier au réalisme du marché.

Davantage d'argent et de moyens, réclame-t-on pour les universités, les écoles. Certes. Mais dans quel but ? Les premières universités payantes ouvrent déjà leurs portes pour constituer les futurs corps d'élites enseignants et étudiants. Mais de quelle sorte d'avenir voulons-nous ? Concevoir un projet d'enseignement qualitatif, dans lequel chacun ait son rôle à jouer, nous semble le seul moyen de nous préparer à affronter les temps difficiles qu'inaugurent les CIP et toutes les mesures privatives qui ne manqueront pas maintenant de se multiplier.

À une époque où, nous dit-on, la transformation des métiers, (soit l'apparition de nouveaux métiers) est plus rapide que la capacité des individus à se former pour les exercer, l'université ne peut, certes pas, ignorer cette évolution. Elle doit retrouver sa vocation organique que beaucoup au nom du « réalisme du marché » voudraient lui voir définitivement abandonner.

Comme si l'activité professionnelle, « le métier » était séparé de la vie ! Comme si l'université ne savait pas qu'il faudrait de plus en plus préparer les étudiants à un monde changeant. Comme si elle voulait ignorer que « la matière grise » devenait de plus en plus la matière première de l'économie du futur. Oui, tout cela pose problème.

Le devoir de l'étudiant, c'est d'apprendre, certes. Mais, pour apprendre, “il faut agir”, dit justement Nietzsche. L'université n'apprend pas à agir. Apprendre à agir doit devenir son principal objectif.

Le court terme, ce qui pousse au réalisme conjoncturel, à la recherche de recettes pour sauver, coûte que coûte ce qui est condamné à disparaître, ne peut déboucher, à terme que sur une « impréparation structurelle permanente » des étudiants au monde du travail et à la vie sociale. Le court terme ajouté au court terme ne fait pas une politique, si ce n'est la politique du pire

Étudiants, professeurs, lycéens, travailleurs n'ont pas d'autre choix que d'envisager à long terme les problèmes touchant à leur formation. L'université, par là, se doit de prendre en considération cette formation « humaine » des étudiants en les engageant dans le projet d'une recherche/formation visant les problèmes fondamentaux qui touchent à la position de l'homme dans le cadre socio-économique.

Ce sont ces problèmes concrets qu'« Objectif jeunesse » aimerait soumettre à un débat. Nous pensons, en particulier, qu'il serait de la plus haute importance que professeurs et étudiants essaient de voir ensemble s'il ne sera pas possible de concevoir, dans le cadre des universités, un espace réservé à une recherche/formation touchant directement à l'homme en activité. Mais qu'est-ce à dire ?


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LIEUX DE VIE

Nous pensons à un espace de recherche/formation, non pas tant basé sur « les savoir-faire » eux-mêmes que chaque université programme ; il ne s'agit pas, par exemple, de créer un département de plus d'étude sociale, anthropologique ou autre. Nous pensons plutôt à un espace où mettre en place un système de recherche et de formation s'appliquant à une problématique que l'on pourrait qualifier de « savoir-être » En particulier, « un savoir-être » dans le cadre de l'instabilité.

Beaucoup de responsables, de politiques, continuent à concevoir le monde à travers une structure sociale et productive pyramidale, structure pourtant complètement obsolète, peu apte par exemple à alimenter un marché qui veut s'axer de plus en plus sur la production de « qualité ». Projet qui, « de soi », met en crise le marché reposant sur la consommation de masse.

D'autre part, beaucoup de chefs d'entreprise ou de politiques ont tendance à vouloir lier l'instabilité à la précarité. L'instabilité, pour eux, devant être perçue comme un moment difficile à traverser, donc un moment, un espace/temps où des sacrifices s'imposent à tous « les personnels ». Il y a là, bien sûr, une tromperie. Ce n'est pas à travers des sacrifices, disons n'importe quels sacrifices, surtout pas en précarisant une masse de plus en plus importante de la population ou en maintenant un relatif statu quo, que l'on pourra affronter l'instabilité, tout au contraire, on ne fera que l'aggraver. C'est seulement en donnant l'opportunité, c'est-à-dire espaces et moyens d'action, aux agents économiques de se former en tant qu'êtres humains capables d'affronter les situations complexes imposées par l'évolution des temps, que l'instabilité pourra signifier autre chose que précarité de la vie. Au contraire nous devons faire de ce problème : comment affronter l'instabilité dans le cadre professionnel, social, culturel, une occasion visant la formation de la personnalité de chacun et l'interaction des individus les uns avec les autres.

Ces « lieux de vie », n'attendons pas pour les créer. Aucune institution ne peut se substituer à la volonté de tous ceux, étudiants, professeurs et autres qui occupent directement le terrain de l'université. D'eux seuls dépend que l'université change ou reste ce qu'elle est.


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L'INSTABILITÉ

L'instabilité ? Que l'on nous comprenne bien, il ne s'agit pas en l'occurrence de savoir si le monde est de nature stable ou instable, nous laissons cette tâche aux scientifiques et aux philosophes. Nous disons, parce que c'est là une constatation quasi générale, que l'époque que nous traversons est perçue à bien des égards comme instable. En particulier, l'évolution rapide des métiers dont nous avons déjà parlé, génère une forme d'instabilité dans le cadre de l'exercice professionnel qui concerne de plus en plus d'agents. Nous nous contenterons donc de dire que l'instabilité est une donnée de l'époque, qu'elle est due, en partie, à l'accélération du mouvement de la production que les nouvelles technologies ont générée. L'organisation du travail a été, de ce fait, complètement bouleversée, mais les mentalités parviennent toujours mal à s'adapter aux exigences multiples, difficiles, induites par les changements générés par les modes nouveaux de production, entre autres au partage des responsabilités, à l'élaboration d'un type de culture en phase avec les mouvements de l'époque. Etre capable de réagir, de s'organiser, de faire face au mouvement rapide des temps, à cette instabilité, n'est pas donné de soi, cela s'apprend, enfin, devrait s'apprendre. Mais justement tout le problème est là : comment apprendre à se comporter, à agir dans un contexte instable ?

L'APPRENTISSAGE DE L'AUTONOMIE

Que faire face au décalage que nous vivons à l'université, face à des études qui sont coupées du monde et de ses multiples réalités ?

Le monde change ; l'université ne peut pas l'ignorer. Mais les études, aujourd'hui, ne préparent pas au monde du travail en plein bouleversement. L'enseignement souvent n'a aucune prise sur le réel. Il fait masse, il s'entasse. Notre exigence est que l'enseignement se donne pour tâche d'initier l'étudiant à l'action par la connaissance. Dans cette perspective l'université deviendrait, pour l'apprenant, le lieu clé de l'exercice de son autonomie.

Savoir évoluer avec son métier ou inventer son métier, être susceptible d'amorcer des virages dans le cadre des continuels changements de l'époque, devient plus important que d'être qualifié dans le cadre de spécialisations vite obsolètes.


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Professeurs/étudiants :
acteurs ou interprètes ?

(Extraits de Federica BERTELLI : « Des misérables salles qui projettent une image trop blanche », dans Les périphériques vous parlent Numéro 0 d'avril 1993, p. 20-28)

Étudiants, professeurs, formateurs se doivent de devenir partie prenante d'une relation pédagogique d'un autre type. En finir avec l'attitude de l'étudiant « éponge » et celle du professeur « écho du savoir », des professeurs et des étudiants interprètes du Savoir grand S. Une pédagogie qui permette à chacun d'agir en manifestant sa personnalité peut seule offrir des débouchés réels dans la vie professionnelle.

Créons des groupes professeurs/étudiants pour y poser la question : qu'est-ce que l'enseignement doit enseigner ? Pourquoi et comment allons-nous apprendre ? Professeurs/étudiants : acteurs ou interprètes ?

Dans l'état actuel des cours, le professeur se contente, le plus souvent, de n'être rien d'autre que l'interprète d'un auteur. Il incarne ses idées, sa pensée, il tient à « faire passer » ce que l'auteur « voulait dire ». Ne va-t-il pas jusqu'à prétendre déchiffrer dans un texte ou dans la pensée de l'auteur le jeu de ses intentions : ce qu'il a voulu dire, ce qu'il a dit sans le vouloir, ce qu'il a caché a lui-même, ce qu'il « pensait quand il disait ce qu'il disait », ce qu'il essayait en dernière instance de communiquer ? Rien cependant ne distingue professeur et étudiant dans le rapport à un savoir figé dans la solidité de ses critères et de ses référents ; l'étudiant, à son tour, apprend à répéter et perpétuer l'interprétation du professeur.

Cette démarche laisse entendre que l'Enseignement, aussi bien du côté de l'enseignant que de l'enseigné, ne consisterait qu'à propager, de génération en génération, « les données invariables du Savoir », l'ensemble des Vérités des Auteurs.

Par là, professeur et étudiant se conjuguent à travers un comportement d'interprète qui annihile leur personnalité, écrase les potentialités d'une élaboration personnelle, abandonnant le terrain aux critères préétablis et aux connaissances certifiées.

L'activité d'acteur implique au contraire la poursuite d'un objectif jamais atteint, un comportement, une conquête permanente, une évolution continue, un devenir en expansion.

Ne serait-il pas plus profitable que le professeur donne une production de ce qu'il a appris, qu'il lie sa pratique de l'enseignement à une recherche personnelle ? Face à une telle démarche l'étudiant lui-même pourrait alors être mis, vraiment, en condition de se positionner, de développer sa pensée et d'envisager à son tour une production à partir de ce qu'il apprend. L'interaction entre le professeur et l'étudiant élargit le champ de production, l'enseignant apprend et « l'apprenti » enseigne.

Le professeur acteur ne confond pas réalité et représentation ; il ne se réfère pas des réalités grand R, à des Valeurs Absolues, il interagit au contraire avec chaque étudiant. Le travail se fait au présent selon les possibilités et la manière de travailler propres à chacun; des procédures concrètes supplantent les structures fixes et la stérilité des opérations interprétatives.

Seul le professeur qui saura s'engager et engager les étudiants dans une production et un type de travail propre à l'acteur engendrera un devenir d'acteur.


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Les valeurs du passé

Les valeurs du passé

Rejetons les valeurs du passé qui s'affichent comme des « images idéales ». Les valeurs du passé sont des ressources, des outils, des moyens utiles pour faire avancer la vie ou pour s'avancer dans sa vie, c'est la même chose.

Les connaissances absolues sont des connaissances absolument inutiles. Apprenez à relativiser. Apprenez à vous servir des idées. Les idées sont faites pour être dépensées. Dépensez-vous, la pensée est faite pour cela.

UN LIEU DE PRODUCTION DES CONNAISSANCES

Exigeons que l'université ne soit plus simplement un lieu de transmission du savoir mais également un espace de production des connaissances.

Le savoir et la formation ne sont pas des produits manufacturés qu'il s'agit d'ingurgiter. Ils sont avant tout usage, pratique, activité constante de remise en cause. Que l'université devienne donc le lieu d'un enseignement qui permette un rapport productif au savoir, lui donnant un tout autre rôle à jouer : celui d'engager les étudiants dans une dynamique qui leur ouvre des champs d'action.

Les valeurs du passé, c'est dans une relation avec nos professeurs, professeur/étudiant, qu'elles peuvent prendre toute leur jeunesse. C'est en cela qu'elles sont des valeurs. Elles n'ont pas été produites pour nous retenir, mais pour nous faire avancer.

L'ignorance elle-même doit être relativisée. C'est à partir de ce que nous savons que nous pouvons « imaginer », ce que nous ne savons pas. Nous avons constaté souvent que ceux qui savent peu croient en savoir long, et à l'inverse, nous avons souvent observé que ceux qui savent « relativement » pas mal de choses - deux ou trois choses, disait GODARD - n'hésitent jamais à admettre leur ignorance. Ce sont justement ceux-là qui « poussent au savoir », c'est avec ceux-là que nous voulons chercher notre jeunesse, car leur passion du savoir les conduit à assumer les conséquences de ce qu'ils ont pensé, de ce qu'ils ont dit, de ce qu'ils ont fait.

Nous sommes prêts à nouer les relations les plus larges avec tout professeur qui nous tiendrait ce propos : « Ce que j'ai pensé ou en ai pensé, ce que j'ai dit ou en dit, ce que j'ai fait ou en fait, m'amène, ici et maintenant, à chercher ce que nous pouvons ensemble en penser, en dire, en faire ». Les valeurs qu'ils nous transmettent alors ne sont pas des lettres mortes recouvrant les temps nouveaux, mais moyens d'action pour aider le présent à se faire une jeunesse, une jeunesse qui soit la nôtre à partir du moment où nous devenons ceux qui lui donnent consistance.

Cela dit, c'est seulement une fois les valeurs du passé remises à leur place, c'est-à-dire mises en question, « en jeu » sur le théâtre des opérations du présent - une fois devenues instruments de l'activité humaine au plan économique, social, culturel et autres - qu'elles deviennent acceptables, utiles.

Ceci posé, nous pouvons maintenant avancer. Enfants et parents, professeurs, lycéens, étudiants, nous venons d'un passé différent mais nous avons devant nous le même demain, il est notre jeunesse, notre jeunesse à faire ensemble, chacun avec son âge, ses projets, à partir de ses différences.


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Les périphériques vous parlent, dernière mise à jour le 3 juillet 03 par TMTM
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