Les périphériques vous parlent N° 1
JANVIER/FÉVRIER 1994
p. 39-40

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 États des (non-)lieux 

Le royaume du planning

Emplois du temps fantômes pour cours irréels. On le sait: dans la jungle universitaire un étudiant ne vaut pas grand chose. Pas la peine de perdre du temps à lui en faire gagner.

Aller à la fac, c'est fatiguant et coûteux. On habite n'importe où, sauf à Saint-Denis, évidemment. Moi, je crèche à Paris et je me paye mes études et mon appart en travaillant comme secrétaire à mi-temps dans une boîte de maintenance. J'ai du pot, par rapport à d'autres. Au mois d'octobre, je m'inscris à la fac (licence). Les horaires des cours sont affichés au secrétariat de mon département. Dans l'idée qu'on s'en fait, un planning devrait assurer votre emploi du temps et rationaliser votre travail. Et bien, voyons !

PREMIÈRE SEMAINE

LUNDI : Étude détaillée du planning : je calcule, je plie, je colle, je m'arrache les cheveux, je soupèse et j'arrive enfin à me concocter un emploi du temps respectueux de mes impératifs professionnels et surtout de mon intérêt pour les cours. Laborieux exercice de style et de compromis sur le choix des cours, d'autant que certains cours indispensables, complémentaires les uns des autres sont, par je ne sais quelle décision perverse, fixés le même jour, à la même heure. Savamment, j'arrive à grouper 4 cours sur deux jours dans la semaine, ainsi : Lundi matin : cours A. Lundi après-midi : cours B. Vendredi matin : cours C. Vendredi après-midi cours D. Ouf ! je pourrai donc me consacrer à mon job « alimentaire » les autres jours.

LA DEUXIÈME SEMAINE

LUNDI : Rencontre avec mon « patron ». Je lui fais part de mes journées disponibles. La personne qui me remplace les jours où je suis absente finit par accepter mes dates. Le patron donne son accord. Tout va bien !

VENDREDI : J'arrive à la fac. Soudain, prise d'une inquiétude, je fonce vérifier le planning. Horreur ! Tout est changé. Le cours A (lundi matin) est déplacé au jeudi matin et le cours C (vendredi matin) est déplacé au mercredi. Sans explication. Que faire ? Pour remplacer le cours A (lundi matin), qui avait ma préférence, il ne me reste qu'un cours semi-potable.

Il y en aurait bien un autre qui m'intéresserait, je ne l'ai pas suivi l'an dernier et on peut le valider en licence, mais... il est à la même heure que le cours B (après-midi). Non, ça va pas, je laisse tomber le lundi. Je suivrai le cours A le jeudi, mais du coup, je perds le cours B qui m'intéressait vraiment. Comment faire ? Je prends le taureau par les cornes : le jeudi, il y a un cours l'après-midi que je n'avais pas choisi parce qu'il était le seul dans l'emploi du temps de la journée ; je vais donc le coupler avec A et la journée du jeudi remplacera la journée du lundi... si ma boîte veut bien ! Ainsi, au dernier moment, le cours E va remplacer le cours B. Maintenant, il me faut arranger le vendredi. Là ça devient impossible pour moi, je renonce. Je choisis le mercredi : je resterai toute la journée de mercredi à la fac puisque le cours C est le matin tôt et le nouveau que j'ai choisi, F, à 19 h. Je me dis que je pourrai étudier à la bibliothèque. Mon nouveau planning est donc : Mercredi matin : cours C. Mercredi 19 h : cours F. Jeudi matin : cours A. Jeudi après-midi : cours E.

LA TROISIÈME SEMAINE

LUNDI : Je fais part à ma collègue (elle aussi étudiante) et à mon patron de la situation ainsi que des changements qu'elle impose. Ils se montrent très compréhensifs et acquiescent à ma demande.

Je retourne à la fac pour vérifier. Ouf, il n'y pas de changement.

MERCREDI : Le matin, j'ai un pressentiment sur le cours C. Je téléphone. J'ai la chance de tomber sur une secrétaire aimable et disponible, elle me dit : « Normalement il devrait y avoir cours... d'ailleurs le professeur est déjà là, mais... attendez... il semble qu'il y ait un problème de salle... non... Peut-être que tout va s'arranger... (Au bout d'une minute). Non, « ils » ne savent pas encore ». Qui « ils » ? J'ai compris, je fonce à la fac, on ne sait jamais. Hélas !, le cours n'aura pas lieu. Au secrétariat, je rencontre le prof qui s'inquiète de savoir s'ils vont régler le problème de salle pour la semaine suivante. Heureusement, le cours de 19 h se tient normalement.

JEUDI : Il y a eu cours. J'en suis presque émue ! (On est heureux pour peu).

LA QUATRIÈME SEMAINE

MERCREDI : Le cours C qui n'avait pas trouvé de salle mercredi dernier a lieu, mais mon cours d'après, F, est déplacé au vendredi. Je cherche un autre cours intéressant mercredi soir. Rien, il faut me résigner à faire quelque chose qui ne m'intéresse pas.

JEUDI : OK pour les cours du jeudi. Je passe voir le planning pour remplacer le cours F du mercredi 19 h. qui a été déplacé. J'en trouve un, G, qui m'attire. Je réussis à rencontrer le professeur, mais il me dit qu'il y a déjà trop d'étudiants inscrits, mais en même temps, il me laisse entendre que si le nombre de demandes d'étudiants pour son cours augmentait suffisamment, il pourrait le refaire à un autre moment. Dans ce cas, si des étudiants déjà inscrits veulent bien adopter le nouvel horaire de cours, pas de problème, je pourrai prendre leur place. Je rencontre une secrétaire que je connais un peu, qui m'encourage à attendre le mercredi suivant, « parce que tout ça » n'est jamais définitif. Comment faire ? Je dois me décider vite, je ne peux pas attendre mercredi prochain, à cause de mon boulot, je risque de me retrouver en retard pour m'inscrire dans d'autres cours. Je décide de prendre le risque : j'attendrai le mercredi suivant.

LA CINQUIÈME SEMAINE

MERCREDI : Le cours C a lieu. Pour le cours G, rien à faire, il ne sera pas dédoublé. « Je ne peux plus inscrire personne, vous savez, vous êtes au moins dix étudiants dans le même cas », me dit le professeur pour me consoler. Je rentre. Je ne veux plus penser à tout ça, ça me dépasse.

JEUDI : Une feuille de papier sur la porte du secrétariat m'annonce que le cours E ne se tiendra pas, parce que le professeur ne peut venir. Le cours du matin, A, est reporté au même horaire que le cours E, de l'après-midi, encore pour des questions de salle. Je me retrouve le jeudi avec un seul cours. Effondrement psychologique, démotivation, désespoir, rage, nausée : premiers symptômes du stress.

VENDREDI : Je ne peux pas parler à mes collègues de la fragilité de mes horaires universitaires. C'est trop risqué.

LA SIXIÈME SEMAINE

MERCREDI : Je vais à la fac, je suis mon seul cours du mercredi, C. Je vais ensuite m'inscrire au cours du vendredi soir, F, il est nul et inutile pour ma licence. Si je sors vite, vite du travail,, j'arriverai seulement avec dix minutes de retard. Je fais le point : j'ai cours le mercredi matin C, le jeudi après-midi E ou A, le vendredi soir F. Manque 1 cours.

JEUDI : Bonne, très bonne nouvelle. À cause d'autres cours déplacés (dont aucun ne me concerne heureusement) je peux m'inscrire à un cours très intéressant le jeudi matin, cours H. Je garderai le A, mon préféré, pour l'après-midi. Je rencontre quelqu'un qui, au courant de mes péripéties me dit : « tu vois, il ne faut jamais désespérer, tout finit par s'arranger ». Résumé de mon planning : mercredi matin : C. Jeudi matin : H. Jeudi après-midi : A. Vendredi soir : F.

Je voudrais ajouter ceci : parfois, des professeurs ne viennent pas ou annulent leur cours au dernier moment. Plusieurs fois, je me suis permis de téléphoner - je le répète, Saint-Denis n'est pas en bas de chez moi. Chaque fois on m'a répondu à peu près : « si nous prenions l'habitude de répondre à tout le monde, dieu sait où l'on finirait. Vous n'avez qu'à venir ».

Si on me demandait de rester quand même positive je ferais cette proposition : tout professeur « responsable » de son cours et de ses élèves devrait avoir pour obligation de prévenir ses étudiants chaque fois qu'il annule son cours. En 1993, à peu près tout le monde a le téléphone. Et même, s'il lui faut passer 40 coups de fil, pourquoi pas ? Ce n'est pas aux étudiants de payer. Sinon, mettre à la disposition des étudiants un répondeur par département, qui ferait savoir les changements de la journée. Ce serait moins coûteux pour la collectivité, que le coût du transport et la perte de temps de tant d'étudiants. À moins de considérer les étudiants comme une marchandise à faible valeur ajoutée !

Mathilde
Étudiante à Paris 8 St. Denis


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Les périphériques vous parlent, dernière mise à jour le 19 avril 03 par TMTM
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