Les périphériques vous parlent
Dossier de Presse

Article paru dans Libération du 25 mars 1997 :

STRASBOURG, FRONT CONTRE FRONT
Génération Chaos investit la scène citoyenne

La troupe ouvrira les manifestations anti-Le Pen du week-end.

Connaissez-vous l'effet papillon ? D'après la théorie du chaos, on dit que le mouvement de ses ailes, dans un petit coin de la terre, peut provoquer une tempête de l'autre côté de la planète. C'est avec cette vision-là du monde qu'est né Génération Chaos. Un groupe d'une vingtaine de jeunes, chômeurs-étudiants, qui depuis plusieurs années s'agitent en douce, au plan artistique, pour bousculer les consciences et « rechercher ensemble » un autre devenir, échappant à la domination de « l'économisme ». Echappés de la scène théâtrale, ils investissent les rues, les préaux des facs, les salles de l'Assemblée Nationale pour mieux marteler quelques informations fortes (« Un enfant sur trois vit sous le seuil de la pauvreté en Grande-Bretagne », brève découpée dans Libération en 1994 et devenue une saynète virulente) ou des questions (« Qu'est-ce qu'être citoyen quand une partie de la population est destinée à survivre dans le cadre d'une sous-classe maintenue en dessous du seuil de pauvreté ? », interrogation à la base de leur nouvelle « pièce », Citoyen en France).

Changement. D'où sortent donc ces héritiers de l'agit'prop des années 70 ? D'un pavillon de l'hôpital psychiatrique de Ville Evrard. Le directeur leur ayant accordé ce local depuis maintenant quatre ans, c'est là que fut enfermé Antonin Artaud, qu'ils répètent, se réunissent, organisent des stages. Les murs reflètent leur effervescence : affiches (« Face à la précarisation, ne laissons pas notre avenir entre les mains des politiciens professionnels », « Le changement ne se décrète pas, il s'invente »), articles de journaux, photos d'eux en activité, graffes... Et l'on comprend que Génération Chaos n'est que l'une des branches d'une intense activité tous azimuts. Au cœur, la structure commune, Star (un mouvement qui englobe science, technologie, art et recherche) et autour, un journal (Les périphériques vous parlent, plus de 5000 exemplaires vendus à chaque numéro, surtout en fac), des colloques (Les « États du devenir », organisés en novembre 1996), un Laboratoire d'études pratiques du changement, des stages et des expositions.

« Qu'est-ce qu'être citoyen quand une partie de la population est destinée à survivre dans le cadre d'une sous-classe maintenue en dessous du seuil de pauvreté ? », thème de Citoyen en France

Débats. Pour l'heure, ils répètent leur dernière pièce, Citoyens en France. Et non pas « citoyens français ». D'emblée, on saisit la nuance. Au son de « Maréchal nous voilà », la fureur monte chez les acteurs et ils mélangent guitares acides et texte hurlé pour mieux faire passer le message contre le racisme et l'exclusion, les yeux dans ceux des spectateurs : « Passionnons les débats », clament-ils. Un spectacle qu'ils ont monté en août 1996, avant donc les mobilisations autour de la loi Debré. Aujourd'hui, ces activistes clandestins se retrouvent en phase avec la mobilisation anti-Le Pen. Eux qui se produisaient dans les MJC, les lycées agricoles, les universités (Saint-Denis ou l'Université Libre de Bruxelles), sont soudain en première partie d'un concert de Noir Désir à Toulon (Libération du 22 mars) ou en ouverture de la manifestation culturelle qui aura lieu samedi à Strasbourg en réaction au congrès du Front national dans la ville alsacienne.

Inspiration. Héritiers de l'agit'prop, ils le sont, et pour cause : la belle histoire de Génération Chaos commence par la rencontre avec Marc'O. Qui se souvient du petit scandale que provoqua en 1966 la pièce que ce dernier monta alors avec quelques inconnus (Bulle Ogier, Jean-Pierre Kalfon, Pierre Clémenti, Valérie Lagrange, Bernadette Lafont, Elizabeth Wiener, Jacques Higelin) ? C'était Les Idoles, un pamphlet anti-star system. Dans L'Aurore, on pouvait lire alors : « Depuis quelques représentations, un commissaire de police se mêlé aux spectateurs et des inspecteurs auraient fait une enquête au café de Flore, fréquenté par les comédiens pour savoir comment ils secomportaient à la ville. » C'est ce même Marc'O, revenu de quelques aventures cinématographiques, théâtrales ou télévisées en France ou en Italie, que les jeunes héros de Génération Chaos rencontrent en 1991. Ses obsessions (participation du public, improvisation de l'acteur, explosion de la scène théâtrale vers la scène sociale), ils les redécouvrent dans ses textes, avant d'oser l'aborder en chair et en os. Il écrit alors pour eux une première pièce Génération Chaos I, une pièce musicale avec Federica Bertelli, Yovan Gilles et Jérémy Prophet. Puis c'est Génération Chaos II en 1995.

Vocabulaire. La filiation est évidente, une filiation choisie. À Génération Chaos, on parle de théâtralité et non de théâtre, d'agit'prop et non d'art engagé, d'acteur et non d'interprète (pour la scène comme pour le social évidemment), de précarité et non de chômage, d'« under-class » et non d'« exclusion », on veut « sortir de la scène ». Venus du rap, du rock, du punk ou de la philosophie, ils se retrouvent tous à tenter ensemble aujourd'hui une autre conception du spectacle et de la société. « La culture doit s'occuper de la politique non pour lui servir d'instrument de propagande mais pour inciter à poser les problèmes de la vie et du devenir que la politique, bornée actuellement à expédier les affaires courantes, est en train d'occulter complètement », expliquent-ils. La culture, ajoute en écho Marc'O, « c'est par là que la société est à vif aujourd'hui. »

ANNICK PEIGNE-GIULY


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Les périphériques vous parlent, dernière mise à jour le 23 avril 03 par TMTM
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