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Numéro 12
Edito
Par Les Périphériques vous parlent |
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Ce numéro des Périphériques vous parlent, paraît un mois après la tenue à Paris, du 7 au 11 mai dernier, des 1ers Foras des Villages et Cités du monde [1]. Cette manifestation internationale a réuni durant cinq jours des organisations venues des cinq continents. Nous ne manquerons pas, dès le prochain numéro, de revenir sur le déroulement, les résultats et le futur d’un événement qui était consacré à l’expression de la créativité des citoyens du monde entier dans tous les domaines.

S’il est question ici de créativité, c’est qu’en lieu et place d’une économie de marché globalisée qui repose sur la compétitivité et une organisation salariale de la société elle aussi en voie de mondialisation, émergent partout des innovations, des expériences, des luttes, des résistances qui proposent des manières de penser, de travailler et de produire, stimulées par des logiques autrement différentes que celles qui régissent le marché. La richesse des hommes et des femmes ne peut être réduite à la richesse du marché, pas plus d’ailleurs que la citoyenneté ne dépend du bon vouloir des professionnels de la politique.

A ce point, deux questions se posent :

- Comment faire pour qu’une alternative à la globalisation de l’économie ne se borne pas seulement à des solutions de type économique ou humanitaires qui, sans nier qu’elles soient nécessaires, représentent le plus souvent des réponses incomplètes aux désastres sociaux consécutifs à la mondialisation ?

- En conséquence, quelles perspectives culturelles peuvent bien découler du rejet de la pensée unique ? Il n existe, bien évidemment, pas de réponse miracle à une telle question ; néanmoins les ressources dont font preuve des citoyens de plus en plus nombreux pour contredire aux desseins de cette pensée unique, sont loin d’être négligeables. (Nous renvoyons à ce propos et celui des Foras à l’article de Marc’O dans ce même numéro).

A ce jour, les conséquences de la mondialisation sont évidentes : augmentation des inégalités entre pays enrichis et pays appauvris qui voient leurs ressources pillées, précarité croissante du travail, multiplication des cités ghettos. Mais lorsque l’on évoque des pistes de solution, il ne fait aucun doute que, pour changer cette situation, une meilleure redistribution et répartition des richesses, s’impose aux yeux de tous. On ne peut le nier. Mais croire, que cela seul, puisse venir à bout des nuisances de l’économie de marché et surtout de sa culture basée sur un idéal de consommation qui prétend suffir au bonheur humain, est une illusion dangereuse dont il faut se garder.

Cette vue va amener alors à considérer que la citoyenneté dépendrait uniquement de l’accès pour chacun à un niveau de vie décent, alors que l’exercice de la citoyenneté, s’il a certes, comme condition préalable, le recul de la misère, signifie, avant tout comme le formule Riccardo Petrella, "acquérir la capacité de pouvoir fixer l’ordre du jour".

Quand nous parlons de culture, nous ne nous référons certainement pas à un modèle de culture. Nous parlons plutôt d’une culture qui se cherche si, par culture, on veut bien entendre de nouvelles possibilités de vie et d’expression. Et s’il s’agissait comme le précise André Gorz d’"une culture de la mobilité, de l’aléatoire, de l’expérimentation ; culture de la précarité assumée et retournée contre cette société qui prétend expliquer le chômage par l’insuffisante "employabilité" des chômeurs et leur manque d’assiduité dans la course derrière l’emploi introuvable" ?

Aussi, c’est à la connaissance de pratiques culturelles émergentes que ce nouveau volet des Périphériques vous parlent voudrait inviter. S’inscrivant dans la continuité des deux numéros précédents consacrés à la relation Sport/Philosophie/Politique, ce numéro se propose toutefois d’explorer d’une façon plus large ce que nous appellerons des manières multiples de faire culture aujourd’hui.

Les articles qui composent ce numéro ne prétendent pas apporter des réponses à toutes les questions que nous avons évoquées ci-dessus, mais, du moins, nous souhaiterions que toutes ces réflexions restent cependant présentes à l’attention de nos lecteurs quand ils liront des articles qui touchent à des sujets très différents. Les articles et entretiens qui le composent expriment, en effet, des orientations, des démarches, des expériences ayant lieu dans le domaine du sport, des sciences humaines, des expressions artistiques, de la littérature, ou encore de la recherche scientifique.

Les lecteurs remarqueront, sans doute, que le domaine expressif est mis au premier plan. Expression des idées et "techniques du corps", pour reprendre Marcel Mauss, sont ici intimement liés, tout simplement parce qu’une pensée sans corps, n’a de cesse de nous confiner à l’univers aseptisé de la pensée unique, cravatée et formatée, par la haine de tout ce qui bouge en dehors des limites des discours convenus.

De là, la proposition des Périphériques vous parlent de mettre la créativité à l’ordre du jour de la rencontre des fora de Paris. Pour conclure, nous citerons Amadou Tall, un jeune de Yeumbeul, ville située dans la banlieue de Dakar qui confiait à Jérémie Piolat présent au Sénégal dans le cadre de la préparation de ce projet : "Ici, la précarité, le manque de moyens sont tels que notre seule matière première est la créativité". La créativité est le seul luxe humain que l’être humain ne peut se payer et qu’il peut s’offrir lorsqu’il ne lui reste rien. C’est pour cela que l’expression de la citoyenneté ne gagnera du terrain qu’à la condition de considérer cette créativité comme la seule richesse inaliénable.

[1A l’initiative des Périphériques vous parlent et organisé avec la fondation France Libertés.