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Numéro 36 Web
Histoire et contemporanéité des expressions artistiques du Bèlè et du Gwoka : 2ème partie

Sommaire

Colloque du 21 octobre 2011 à l’Auditorium de l’Hôtel de Ville de Paris, proposé par la Mairie de Paris, la Délégation Générale à l’Outre mer, la revue Les périphériques vous parlent et l’association Sortir du colonialisme.

Le Bèlè en Martinique et le Gwoka en Guadeloupe sont deux matrices artistiques et culturelles qui revêtent une grande variété de formes tant spectaculaires que populaires. Ces deux expressions sont inséparables des pratiques sociales qui, de la période de l’esclavage où elles ont émergées comme modes de résistance à l’oppresseur jusqu’à aujourd’hui, ne se laissent toutefois ni réduire à des enjeux identitaires, ni à ce que le sens commun se représente d’évidence quand on évoque les musiques et les danses « traditionnelles ». Forts d’un nouvel essor depuis plusieurs décennies, le Gwoka et le Bèlè accèdent aujourd’hui à leur propre modernité, dont il s’agit de comprendre la nature à travers l’étude des métamorphoses complexes qui président à l’actualité de toute tradition.

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Le Bèlè et le Gwoka (évolutions contemporaines)

«  Le Gwoka, c’est l’immaculée conception de l’âme guadeloupéenne, le sang, le sel, le souffre, la sueur sont les éléments explosifs qui ont enfanté dans la douleur, tel un accouchement aux forceps ce bébé ka qui reste la plus haute élévation de l’esprit de l’âme guadeloupéenne. » (Jean-Mary Lurel)

Evolution contemporaine de la danse Gwoka,, intervention de Max Diakok (chorégraphe (Cie Boukousou), danseur) :

Ma communication consistera à vous présenter ma démarche et le chemin que j’ai parcouru du Gwoka traditionnel à cette danse contemporaine que j’appelle Agoubaka, ayant comme socle l’univers du Gwoka : le terme vient des mots créoles « agouba » qui signifie supplément et ka qui symbolise la culture. Dans un premier temps, nous verrons l’origine de ce travail, les éléments qui ont déclenché cette prise de conscience. Puis il s’agira de s’interroger sur la notion de contemporanéité appliquée à ce travail né du Gwoka.

Enfin, je présenterai le contenu de ma démarche chorégraphique.

Max Diakok présente dans cette intervention l’évolution du Gwoka et le long chemin parcouru depuis la forme dite traditionnelle. Démonstration in vivo, suivie de l’interprétation de trois chants du répertoire Gwoka par :
Chanteur : Djokaèl Méri
Tanbouyé soliste (Makè) : Philippe Bonnet (dit Pòm)
Tanbouyé rythmique (Boularyen) et répondè : Didier Paller (dit Soupap)
Chacha : Francis Hatilip
Répondè et danseur : Max


Ecoutez l’extrait

Après cette démonstration in vivo, plusieurs extraits vidéo ont donné à voir l’évolution du travail personnel du chorégraphe durant ces dernières années.

L’origine de ce travail

Avant tout, je dois dire que rien ne me prédestinait à une carrière de danseur. Tout a basculé en 1978 quant j’ai découvert un autre aspect de la musique et de la danse avec les paysans guadeloupéens dans les soirées léwòz (il s’agit de soirées au cours desquelles on joue et danse le toute la nuit). Ce qui m’avait interpellé à l’époque, c’était la façon dont la puissance tellurique des tambours-ka pouvait côtoyer la sensualité des voix et des gestuelles et comment ces mêmes voix et gestuelles pouvaient se faire tour à tour guerrières, mélancoliques, allègres.

Bref, toute une gamme d’émotions. Une théâtralité et une présence au fort pouvoir magnétique.

Deux ans plus tard, après avoir commencé par l’apprentissage des rythmes au tambour, je me lance dans l’apprentissage de la danse par mimétisme puis dans l’exécution de ces danses se pratiquant en solo (improvisation au milieu de la ronde).

C’est ainsi que de soirées léwòz en soirées léwòz j’ai appris les 7 rythmes du Gwoka. Parallèlement, dans le domaine musical, j’assistais aux concerts-débats du groupe GKM du guitariste Gérard Lockel, fondateur du Gwoka moderne. Cette musique qui m’avait paru hermétique à la première écoute d’un coffret de 3 disques vinyles (en 1977) me révélait ses secrets au fur et à mesure de mon évolution dans le Gwoka traditionnel. Plus je pratiquais et écoutais la diversité des styles du Gwoka, mieux je comprenais le Gwoka moderne. Et plus je le ressentais et l’acceptais comme faisant partie de la même famille. Cependant, jusqu’en 1987 l’idée d’une possibilité de développer un travail autre autour de la gestuelle Gwoka, ne m’avait jamais effleuré. C’est avec le groupe de Gwoka moderne Galta du pianiste Yvan Juraver que je me suis trouvé face à cette problématique. Le groupe avait une démarche musicale inspirée du travail de Gérard Lockel. Je faisais alors partie de la section des tanbouyé (joueurs de tambour-ka). Yvan qui savait que par ailleurs la danse traditionnelle avait commencé à prendre une place importante dans ma vie, me demanda un jour de m’essayer à la danse sur cette musique. Evidemment, je ne pouvais à l’époque que transposer sur cette musique les pas et codes traditionnels que je connaissais. Yvan me fit alors remarquer que ça ne fonctionnait pas, qu’il fallait que je trouve mon propre langage à partir du Gwoka, car me dit-il, il faut communiquer non seulement avec le makè (tanbouyé soliste) mais également avec les autres instrumentistes (piano, trompette et batterie). Il me fallait trouver d’autres codes et instaurer un dialogue entre la richesse de cette tradition et ma singularité en tant que créateur. Ce qui me permit de me lancer dans toutes sortes d’expérimentations pour travailler ma danse et nourrir ma culture chorégraphique.

Au final, c’est tout un long processus fait de trouvailles, d’illusions par rapport au diktat de la technique, de prise de conscience de la nécessité de mettre la technique au service de sa danse, de la nécessité de ne pas perdre son âme dans cette quête qui, au début, était formelle. Mon repère restait toujours cette force intérieure qui m’avait tant impressionné dans les campagnes de Guadeloupe au cours des soirées léwòz ainsi que le potentiel contenu dans le style. Commença à se poser à moi la question de la recherche d’une esthétique nouvelle. Au début je repris le terme modern-ka utilisé par mon premier professeur de danse, Léna Blou. Puis j’utilisai celui d’expression-ka pour finalement adopter plus récemment celui d’Agoubaka pour présenter cette démarche contemporaine. Et pourquoi le terme contemporain ?

La notion de contemporanéité de la danse Agoubaka

Le terme de contemporain que nous appliquons aujourd’hui à la danse peut être appréhendé de deux façons. Dans une première acception, c’est le résultat d’évolutions et de ruptures successives propres à l’histoire de la danse européenne et nord-américaine : de la danse classique à la danse libre, de la danse libre à la danse moderne, de la danse moderne à la danse contemporaine. Cette dernière se définissant non pas par un langage de pas codifiés, comme c’est le cas dans la danse classique, mais par des conventions et un langage propre à chaque créateur quant à l’utilisation de l’espace, du temps, du poids du corps et de l’énergie.

Le chorégraphe français Dominique Boivin la décrit en ses termes ; « la danse contemporaine a sa propre grammaire, son propre vocabulaire. Elle refuse la tradition , elle n’est pas la tradition, elle n’a pas de tradition. » Or pour développer cette danse Agoubaka il m’a fallu, non pas être en rupture avec la tradition, mais en extraire la substantifique moelle, le nannan (nourriture) vital, chercher au-delà des codes la parole essentielle. Toute la difficulté est de caser cette danse dans un tiroir, d’autant plus qu’elle ne se revendique pas d’une filiation connue, reconnue. Dans une deuxième acception, le terme contemporain désigne ce qui se pratique à l’époque actuelle. En faisant une synthèse des deux acceptions du terme, je dirais qu’il s’agit d’une danse d’aujourd’hui qui cherche à établir ses propres conventions et son langage à partir de la tradition Gwoka.

Quel en est le contenu ?

Le contenu de la danse contemporaine Agoubaka

Avant d’aborder le contenu proprement dit je voudrais mettre l’accent sur quelques éléments qui ont constitué la porte d’entrée vers cette démarche contemporaine.

Eclairage sur quelques éléments de l’expression Gwoka

- Le dialogue entre codes et créativité

Le Gwoka est une danse d’improvisation qui offre des espaces de liberté et dans laquelle la connaissance des pas peut mener à une réinterprétation de ces pas, voire à des créations de pas nouveaux s’inscrivant dans le style et les codes de chaque rythme. Ces codes concernent aussi bien les types de mouvement privilégiés dans tel ou tel rythme que les dynamiques et les parties du corps moteur du mouvement. Déjà au milieu des années 80, parallèlement à une forme de danse Gwoka plus conventionnelle que je dansais dans les soirées léwòz, à la ville (à Pointe-à-Pitre), nous étions un certain nombre de jeunes à faire des expérimentations hors normes tout en respectant le côté cyclique de cette danse ponctuée par ce que nous appelons les rèpriz (respiration entre 2 cycles).

- La relation avec le temps

La conception du temps dans le Gwoka se décline sous différents modes. Il peut s’agir d’un temps martelé, d’un temps slalomé entre temps fort, temps faible et contretemps. En termes de durée des mouvements, ceux-ci peuvent alterner suspension et accélérations.

- Le mouvement intérieur

Les 7 rythmes nous font voyager aux confins d’émotions diverses. L’exemple de la danse Léwòz est significatif. Cette danse fait un usage important du bigidi (déséquilibre) et se danse avec un bâton. Le danseur ponctue les cycles de la danse en faisant mine de frapper le makè. Cette danse est chargée intérieurement. Elle aménage des temps de silence avec les yeux qui parlent. On peut y voir tout l’art du détour de nos ancêtres esclaves : un exutoire face à cette oppression du maître, une transmutation des faiblesses en force.

Ma démarche chorégraphique

- Elle s’appuie en premier lieu sur des éléments liés à la nécessité intérieure, la mise en mouvement étant le résultat d’une tension intérieure vers un ailleurs à conquérir ou vers un havre de paix. Il y a là toute une symbolique du parcours initiatique de l’ombre vers la lumière. Ce qui nourrit mon imaginaire est lié à l’univers de certains chants de Gwoka (pas forcément le texte mais ce qu’ils réveillent comme mémoires ou ce vers quoi ils me portent), l’univers merveilleux des contes (en particulier les mofwaz ou métamorphoses des personnages), la poésie de la vie, la poésie tout court. Cette nécessité intérieure détermine le second axe : le travail corporel.

Le travail corporel

Il s’agit de rendre lisibles sur les corps ce mouvement intérieur. Le rapport au corps passe par des mouvements se développant avec des appuis rivés au sol ou voguant entre équilibre et déséquilibre. Le rapport au corps, qui se traduit également par une alternance d’ouverture et de fermeture (entre autres l’en-dedans des jambes), passe aussi par un rapport au sol. C’est le rapport incessant à la terre-mère, aux origines africaines.

- Le rapport à la musique et au temps

Certains courants de la danse contemporaine ont développé un concept d’indépendance de la danse par rapport à la musique (par exemple le chorégraphe américain Merce Cunningham). Dans ce domaine je privilégie le dialogue avec la musique, cette relation pouvant conduire à des dissociations, des contrepoints, voire des silences. Cela demande une collaboration avec les musiciens pour qu’ils soient au service de l’univers à créer. C’est ainsi que certaines pratiques musicales sont détournées de leur forme ou de leur fonction originelle. Un rythme transformé pour amplifier une de ces caractéristiques. Un chant rythmé qui se développe a capella avec un caractère sacré, danse dans le silence, sur des poèmes, sur la percussion corporelle, sur des bruits divers... Quant au rapport au temps, il consiste en une accentuation des contrastes de durée du mouvement, entre mouvements lents, fluides et mouvements chargés.

- Le rapport à l’espace

Il y a une exploration de l’espace corporel à partir des formes du Gwoka et de formes liées à la vie quotidienne. Je me suis beaucoup inspiré des postures que peuvent adopter les femmes et les hommes en Guadeloupe et dans la Caraïbe dans leur pratique sociale : le travail agricole, les postures traduisant une certaine émotion, la gestuelle de tanbouyé comme le grand maître Vélo sur son tambour, la statue du nègre marron d’Haïti, la société de consommation etc. J’explore également des mouvements plus personnels liés aux thèmes traités dans la création (ex. le mouvement des foules dans la société de consommation). Dans le processus de création, les interprètes sont également amenés à réinterpréter cette gestuelle, voire à proposer des matériaux gestuels liés à leur personnalité sans perdre de vue le fond.

- La dimension spirituelle

Elle me vient de l’intertexte des paroles des veux praticiens de Léwòz, de l’indicible à la base de toute présence. J’essaie de rendre tangible l’invisible. Sur le plateau des présences diffuses. Tout comme Ti Jean dans son parcours initiatique, il y a toujours des obstacles à franchir, un chemin à débroussailler. Il faut entendre par spirituel une certaine qualité de présence au monde, une force intérieure en quête de sens.

En conclusion

Si le point de départ de ma démarche artistique est la Guadeloupe, la création artistique et l’interaction avec des publics divers n’ont eu de cesse de me conforter dans la nécessité d’une parole généreuse au-delà des frontières. Cette quête d’une parole essentielle s’adressant à l’être humain, quel qu’il soit et où qu’il soit, n’est pas antinomique avec une recherche esthétique se développant à partir des fondamentaux d’une gestuelle héritée de l’esclavage. Pour terminer, j’aimerais faire mienne cette citation du poète martiniquais Aimé Césaire : « Il y a deux manières de se perdre : par ségrégation murée dans le particulier ou par dilution dans l’universel. Ma conception de l’universel est celle d’un universel riche de tout le particulier, riche de tous les particuliers, approfondissement et coexistence de tous les particuliers ».

• Extraits du débat

Réaction du public : Je voudrais intervenir par rapport aux propos aussi de Félix Cotellon qui a mis en parallèle le Gwoka avec le jazz. Le Jazz, est-ce du Gwoka ? On peut, comme disait Glissant, s’ouvrir aux autres sans se dénaturer. Si le Gwoka est reconnu comme patrimoine de l’humanité, c’est normal. Il ne faut tomber ni dans la ségrégation murée, ni dans le particularisme, ni encore dans la dilution dans l’universel. J’ai vécu au Japon où existe une communauté antillaise qui joue du Gwoka avec des Japonais qui jouent également du Gwoka. Est-ce encore du Gwoka ou non ? Il y a une culture traditionnelle, surtout en Asie, où les maîtres de la culture traditionnelle sont élevés au rang de trésors vivants, mais la modernité existe aussi. La musique moderne existe et reçoit des influences, car il y a des brassages. Il faut s’inscrire dans l’universel, la poétique de la relation dont parlait Glissant. Comme l’a dit Philo, le Gwoka, « l’âme guadeloupéenne », a appelé au marronnage politique, mais aussi esthétique. Saint John Perse, un Béké qui a reçu le Prix Nobel de littérature, s’est inspiré du tambour : « les tambours de l’exil éveillent aux frontières
l’éternité qui bâille sur les sables », écrivait-il ; et Glissant a rendu hommage à Saint John Perse. Il ne faut pas nous replier sur nous-mêmes en disant : le Gwoka représente l’âme guadeloupéenne. Non le Gwoka participe de l’universel. Il y a un autre aspect, une notion de mystique qui passe par le corps et qui est liée à la nature, aux éléments : le feu, la terre et l’eau. Comme dit Saint John Perse, le créateur est habité, inspiré. Il n’y a pas de frontières dans la création. On peut s’appuyer sur les traditions, mais on peut aussi s’ouvrir aux autres sans se dénaturer.

Jean-Marie Pradier : Je suis obligé de réagir car, à chaque fois qu’un Martiniquais, un Guadeloupéen veut exprimer son être, il est taxé de particularisme. Il y a là un vrai problème et c’est une contre-vérité scientifique. Pourquoi veut-on donner des leçons d’ouverture à un peuple qui est né de l’ouverture ? C’est un pléonasme et c’est inadmissible. Les tambours qui sont là, on vous les a montrés. Un pays qui jouerait du tambour serait identitaire. Or les fûts du tambour sont en chêne et il n’y a pas de chêne en Guadeloupe ! On prend des fûts de vin et après, on reprend les lattes et on fait des tambours avec : c’est un matériau de récupération. Un pays qui a pour emblème un tambour, une musique qui a comme matériau de base du chêne, on va l’emmerder avec des problèmes de particularisme. Il ne faut pas exagérer !

La Martinique, la Guadeloupe, la Guyane sont nées avec une piqûre anti-nombriliste. Tous ces emblèmes sont des emblèmes de mosaïque. Plus de Martiniquais et de Guadeloupéens complexés ! Le gros problème ici et là-bas d’ailleurs, c’est qu’on nous a volé les mots. C’est de l’ethnocentrisme nominal encore une fois : comment exprimer la contemporanéité si un mot est volé par d’autres et le concept aussi ? Il y a déjà un vol, même si Gérard Lockel a écrit un traité théorique sur le Gwoka... Quant au mot contemporain, il appartient à tout le monde, nous en faisons ce que nous en voulons. Nous pouvons employer ce terme sans complexe.

Intervention du public : Un certain nombre de musiciens guadeloupéens qui viennent jouer sur la scène internationale associent le mot jazz à leur musique pour faire du marketing mais, dans ce cocktail, on retient le mot jazz. C’est simplement ça ! Les dépositaires du Gwoka sont les guadeloupéens ! L’enracinement, c’est la Guadeloupe ! Les musiques contemporaines issues du Gwoka, c’est encore la Guadeloupe ! Ce n’est pas de l’exclusion mais du respect, il me semble !

Jean-Marie Pradier : Ce qui m’a frappé, c’est ce que l’on appelle les mariages forcés ou baptêmes forcés. Un opprimé, c’est quelqu’un à qui on enlève son nom, et à qui on donne un autre nom ailleurs. En Chine, les Chinois et chinoises écrivent leur nom et écrivent à côté un nom chrétien. Si on leur dit : ce n’est pas votre nom, la personne répondra : « oui, mais c’est plus facile à retenir ! Je serai plus facilement accepté ailleurs. » Ce qui a été dit de la nécessité en anthropologie et ce que disait cet historiographe d’origine indienne, c’est qu’il faut croiser les théories, ne pas être l’esclave du nominal.

Intervention du public : J’ai beaucoup appris aujourd’hui. Je voudrais apporter mon témoignage. Je travaille dans un centre de détention. J’ai voulu animer un atelier de Gwoka. On m’a dit : ça va faire du bruit... Je me suis battue avec ma direction et le plus gros barrage a été celui de la DRAC de ma région qui exigeait des intervenants diplômés de Gwoka. Je me suis battue pour leur expliquer que c’était un savoir-faire, une expérience sur le terrain. Finalement, nous avons fait plusieurs ateliers avec des blancs, des noirs, des maghrébins qui ont débouché sur une représentation au centre de détention... Il faut donc se battre pour défendre notre patrimoine et le transmettre. C’est comme cela que l’on aura quelque chose à partager avec le monde !

Patrick Rilcy : Je vis en Guadeloupe, je suis poète et je m’intéresse au Gwoka pour l’avoir pratiqué. Je voudrais témoigner d’une expérience de transmutation des valeurs Gwoka dans le domaine de la poésie. Ce n’est pas seulement une musique mais une civilisation. Dans le Gwoka, il y a originellement, cette volonté de dire son humanité contestée par l’esclavage, ceci à travers le chant (les chants de veillée mortuaire), la musique, la poésie de l’esclave qui émerge sa volonté dire qu’il est un homme et non une chose ou un animal. Le Gwoka, c’est sortir des carcans pour se dire libre.


• Obstacles à lever pour considérer le Bèlè et le Gwoka comme des formes à la fois traditionnelles et émergentes dans l’espace de la création contemporaine,
intervention de Jean-Charles François (musicien, fondateur et ancien directeur du Cefedem Rhône-Alpes) :

La création « contemporaine », c’est ce qu’on fait aujourd’hui. Ce soir, en l’occurrence, c’est la rencontre de deux groupes musicaux, Vaïty et le Bèlè et PFL Traject, le groupe que nous avons formé. Nos interactions avec Etienne Jean-Baptiste ont été nombreuses dans un cadre institutionnel, liées notamment à l’enseignement de la musique. Ces collaborations ont été très riches dans le cadre d’échanges et de prestations artistiques, mais nous n’avons jamais encore joué ensemble. C’est donc la première fois aujourd’hui que nous organisons une rencontre entre deux types de musique qui n’ont rien à voir l’une avec l’autre. Le groupe PFL Traject, composé de Pascal Pariaud, Gilles Laval et moi-même est Lyonnais. Gilles vient du rock, Pascal de la musique contemporaine, et aussi de la musique ancienne portée sur les clarinettes, en outre il dirige une chorale d’amateurs. Moi-même, à la percussion, je viens de la musique contemporaine écrite et j’ai fait des improvisations durant de nombreuses années. A Lyon, nous avons créé un laboratoire, Palabres, dont l’objet est de développer des pratiques artistiques en acte. C’est un laboratoire de recherche qui s’associe dans l’esprit aux recherches menées par Les périphériques vous parlent sur la notion d’acteur et sa pratique. Tous les participants d’une pratique donnée sont des acteurs à part entière, et non des exécutants et interprètes obéissant à la volonté d’une seule personne. Nous avons apposé un sous-titre au labo lyonnais : « les pratiques artistiques nomades et transversales ». Elles varient selon les contextes. Elles sont nomades en tant qu’elles traversent les catégories, les disciplines et les styles, elles effacent les frontières, elles sont transversales. Il s’agit de refuser les clivages si importants, hérités du XIXème siècle européen, et l’identification de l’art à des œuvres déterminées par un auteur, avec cette idée que les œuvres sont closes sur elles mêmes, définitives et s’inscrivent dans un espace en soi séparé du monde et de la société. Cette conception réduit les pratiques traditionnelles à une curiosité d’ethnologue et réduit les pratiques de médiation culturelle à un rôle secondaire et subalterne. Pour une telle conception, les pratiques traditionnelles sont merveilleuses tant qu’elles ne prétendent pas questionner et ne viennent pas empiéter sur les conceptions dominantes de l’art autonome.

Trois champs d’investigation sont en jeu dans le développement des conceptions nomades et transversales. Le premier ouvre à une pensée de la continuité et à une interactivité entre la scène du spectacle vivant, d’une part, et pêle-mêle, les logiques d’enseignement, de médiation, de recherche, d’expérimentation, de transmission, d’éducation, de participation du public, d’inscription des activités artistiques dans la société, dans le philosophique et le politique.

Le deuxième axe consiste à penser une continuité et une interactivité entre un chant traditionnel, d’une part, et d’autre part l’invention du quotidien, les autres champs des activités artistiques, l’ouverture des ghettos, les outils technologiques de notre société, la création de nouveaux cadres d’interaction, de nouvelles situations, le monde de la création contemporaine, c’est-à-dire ce qui se fait maintenant et peut-être demain... ou pas. Les musiques qui disparaissent, c’est important aussi !

Le troisième axe, enfin, est la rencontre d’individus ayant des parcours différents, la co-construction nomade et transversale d’univers de mises en commun, à recommencer au quotidien.

Nous allons maintenant essayer de jouer ensemble, le groupe d’Etienne Jean-Baptiste et Vaïty et le groupe PFL Traject...


Extrait de l’improvisation

Vaity, voix et danse

Jean-Charles François : percussions

Gilles laval : guitare triturée...

Pascal Parriaud : clarinette, harmonica, trompette, tuyaux....

Etienne Jean-Baptiste et Philo : Tambour Bèlè