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Numéro 32
Présentation
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Les préoccupations environnementales sont omniprésentes dans le débat public et sont désormais inscrites au sommet de l’agenda politique et médiatique. Dans ce contexte, il est de plus en plus difficile de faire la part des choses tant les déclarations d’intentions et les effets d’annonces surabondent. Dans ce numéro, des écologues (écologistes scientifiques), océanographes, écotoxicologues, virologues ou encore professeurs d’agriculture comparée nous livrent leurs points de vue et développent leurs analyses. Ces approches visent à mieux nous faire comprendre les émergences, les obstacles et les enjeux que chacun(e) rencontre aujourd’hui dans son domaine. L’ensemble apporte également un regard sur les transformations que les menaces écologiques font subir à leurs disciplines, sommées d’y répondre en y apportant des solutions spécifiques, innovantes et expérimentales.

Les contributions des différents auteurs circonscrivent trois champs d’explorations ayant trait à la caractérisation des changements énergétiques et écosystémiques planétaires :
1 Un repositionnement radical de la notion d’écologie, dont la portée excède largement ce que le sens commun entend d’ordinaire par la locution émolliente de “protection de l’environnement” (Jean-Claude Lacaze, Marcel Bouché).
2 Une approche des nouveaux risques attenant aux industries de hautes technologies (nanotechnologies), aux changements climatiques et à la poussée démographique mondiale (virus, épidémies), à l’impact des gaz à effet de serre, ainsi que les dispositifs d’alerte et de prévention permettant d’en endiguer les conséquences sanitaires (Francelyne Marano, Didier Raoult, Jean-Luc Ménard).
3 Enfin, une approche des écosystèmes vivants débouchant sur une redéfinition des échanges viables et osmotiques à long terme entre l’humain, la flore et la faune, cela à la lumière d’un renouveau des pratiques culturales articulant global et local, tradition et agriculture qualitative post-intensive (Marcel Bouché, Gilles Clément, Marc Dufumier et Claude Aubert).

La diversité des diagnostics et des préconisations abordées, qu’ils touchent aux perspectives énergétiques, à l’épidémiologie, à la survivance alimentaire des humanités, à l’éco-toxicologie des nanomatériaux, à l’inversion de la courbe des pollutions océanes et terrestres et au réchauffement, convergent vers la nécessité d’une reconversion écologique de l’économie. En la matière, le lecteur ne trouvera ici nulle imprécation en appelant à la “décroissance”, mais des incitations précises à une transformation des modes de produire, de consommer et de travailler ajustée aux constats d’un monde fini.

La gravité de la situation actuelle de l’humanité la confronte à des questions résolument nouvelles depuis quelques décennies mettant en jeu sa survie à long terme (ceci dit sans emphase). Les points de vue scientifiques développés ici nous décrivent des problèmes à la fois interconnectés et distincts en tentant d’y apporter des solutions “réalistes”. Ces solutions impliquent toutefois une refonte des savoirs et des technologies qui ont contribué depuis deux siècles à la fragilisation autant des équilibres planétaires que des cadres de vie humains (malgré les évidences contraires : augmentation de la longévité et du niveau moyen des ressources par habitant...).

Face à un modèle économique hégémonique et homogénéisant à l’échelle mondiale, dérivé d’une foi dans la compétitivité, l’illimitation des ressources et la démultiplication majoritairement standardisée des produits du travail humain, une promesse affleure au destin des peuples immergés pour le moins dans des contradictions inextricables, écartelés entre le diktat des urgences et l’horizon d’un devenir humain à long terme, qui sera créatif ou ne sera pas. Cette promesse, qui couple diversité culturelle et culturale, concerne des modes de croissance pluriels, multiples et sélectifs par rapport à des problèmes et des contextes donnés, et non plus la “croissance en soi” au pied de laquelle les États s’agenouillent comme aux pieds de la Madone.

Nous savons également que les horizons dessinés dans ce numéro ont pour limite la situation d’une majorité d’êtres humains vivant dans les servitudes, la misère et les inégalités sociales ; et pour lesquels, l’avenir de la planète et la qualité de vie sont des idées dénuées de sens, seule comptant la survie au jour le jour, à n’importe quel prix. Quoi qu’il en soit, les perspectives succédant aux diagnostics formulés ici, ne sauraient non plus enjamber un problème que la philosophe des sciences Isabelle Stengers formulait dans son ouvrage La guerre des sciences : en résumé, si la science a vocation à dire “ce qui est”, c’est au citoyen et au politique de dire, à partir de ce qui est, “ce qui doit être”. Et, en l’occurrence, les choix civilisationnels sont autant motivés par la raison que les intérêts pécuniaires, les croyances ou les sensibilités. Et c’est bien cela qui constitue le nœud de toutes les applications timorées des différents protocoles de Kyoto et autres scellant aujourd’hui les peuples autour d’un destin commun, qu’ils le veuillent ou non. Or, ce destin commun l’est encore par défaut. Car il reste aux humanités à définir un “bien commun vital” à partir duquel le devenir humain cesserait d’être suspendu aux impératifs de la guerre économique multipolaire. Y parviendra-t-on ? Rien n’est moins sûr. Mais rien n’est impossible non plus.