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Numéro 25
Considérations sur le croyant et le citoyen (2ème partie)

Ces à propos choisis, extraits d’un livre en préparation, représentent le prolongement des arguments proposés par Marc’O dans son précédent article intitulé "Le Croyant et le citoyen".

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Extrait

Remarques sur la situation du monde à la lumière de la théorie de la communication.

Je reviendrai un instant sur l’expression "ressource humaine", dont je parlais à la fin de la première partie de mon texte "le Croyant et le citoyen" dans le dernier numéro de la revue. Elle désigne, aujourd’hui, la fonction des hommes et des femmes dans le cadre du monde du travail. L’agacement de bien des personnes pour cette formule aliénante de la condition humaine est bien compréhensible. Je dis aliénant du simple fait que des départements des Ressources Humaines existent naturellement dans la plupart des grandes entreprises. Je tiens à le souligner, je vois dans cette appellation une violence faite à l’être humain, transformé en une ressource au même titre que les matières premières, financières ou technologiques. Rien d’étonnant dans ces conditions, la guerre économique féroce dominant le monde depuis quelques décennies, à ce qu’une nouvelle "résistance sociale" cherche à se constituer.

De quoi je parle - de quoi parlons-nous, aujourd’hui, amis et ennemis - quand nous entendons toujours ce mot "résistance" qui a pris corps durant l’occupation nazie d’une grande partie de l’Europe ? Pour moi, il désigne avant tout une situation qui n’arrête pas de se modifier, sans doute depuis l’aube des civilisations. En l’occurrence, je pense que mai 68 est une date clé, à laquelle on prête à tort ou à raison, avec les meilleures et les pires intentions, le début d’une nouvelle modernité, pour ne pas user de cette absurdité dénommée post moderne.

L’expression modifier une situation est un euphémisme pour escamoter le mot dégrader, une dégradation qui se poursuit dans tous les domaines, sur tous les plans, à chaque moment de l’existence humaine. Les langues maternelles véhiculent les pensées et les réalités qui font que tout ce qui se dit et s’écrit, est un bien commun partagé ou non, qui rassemble ou désunit. La parole n’existe qu’à être partagée, et c’est avec, par elle, lalangue, comme l’orthographie en un seul mot Jacques Lacan, qu’il faut "raison se faire". Bref, en discuter.

De fait, ce que l’on dénomme "la narration du monde" est difficilement saisissable. Les historiens qui ont vocation à la développer rencontrent des difficultés appréciables pour ne pas dire inimaginables, surtout lorsqu’ils aspirent à présenter des vérités autrement que comme des convictions forgées en leur âme et conscience, une prétention à dire spontanément le vrai. On ne se méfiera jamais assez de la spontanéité quand le vrai ne peut être, au mieux, que le vraisemblable. Par contre, ce qui est plus visible que le nez au milieu du visage, c’est l’existence d’une narration dominante qui présente le monde à sa convenance, la convenance d’une idéologie qui domine les sociétés humaines. Il est clair, cette narration ne narre pas les faits, encore moins le réel, serait-ce le réel du moment. Elle exprime uniquement l’idéologie d’une classe dominante1 au Pouvoir Prépondérant (Les P Majuscules sont de rigueur).

En fait, je voudrais essayer de donner consistance à cette situation qui a installé partout, durablement dans le monde, cette prépondérance de l’économisme (comme on parle de scientisme à propos de la science) véhiculé par un langage composite reposant sur la langue marketing, le médiatique, la publicité, soutenu par des techniques, des formes expressives métonymiques, qu’il s’agisse de texte, image, son, ou des technologies : cinéma, vidéo, télévision, internet. Cette liste n’est pas exhaustive. Elle nous plonge immédiatement dans une complexité inouïe, d’autant que c’est l’usage particulier de ces moyens, expressions et technologies, qu’il s’agit en premier lieu d’interroger, d’autant encore que la "narration dominante" stimule une globalisation économique du monde, installant partout une pensée unique "économiste" qui congèle l’intelligence humaine dans des réductions verbales, dont nous reparlerons.

Pour l’instant, je voudrais signaler une idée toute faite qui semble s’imposer d’évidence. Ce point de vue oppose la culture à l’économie. Je vois en cette séparation une légèreté rhétorique très dommageable, qui recouvre la réalité de ce qui est en train de se passer au plan du vivant, des expressions et de l’information.

Au contraire, pour moi, l’hégémonie mondiale de l’économie de marché crée une culture, elle est en soi un type de culture qu’explicite justement l’expression "narration dominante". Il n’y a pas une guerre entre culture et économie, mais une guerre pour la domination d’une culture sur toutes les autres. La question est : cultures ou mono culture ?

Quand je parle de la culture du marché, je veux tout d’abord noter qu’un événement majeur s’est installé peu à peu dans l’univers, un événement qui traduit la mise en place d’une langue artificielle, la langue du marché, véhiculée, pour être précis, par le langage marketing. Soutenu par les puissances expressives que sont la publicité et le médiatique, un parlé accablant se constitue depuis quelques décennies contaminant toutes les langues maternelles de l’humanité, les réduisant à un "jargon du marché universalisé", un sabir, en quelque sorte, en place dans toutes les activités humaines. Un exemple, une publicité extravagante s’étale aujourd’hui dans la plupart des métros parisiens qui fanfaronne : "Change your life, speak wall street English". Le voilà, le parlé du marché. On est loin de l’anglais de Shakespeare. Le dictionnaire référent est désormais celui du "Harrap’s marketing" et les buts de vie, c’est la vie des affaires qui les détermine.

Nous n’avons cessé aux Périphériques vous parlent de dénoncer cette dégradation des langues maternelles du monde par le langage marketing. Et pour ce faire, nous avons souvent utilisé les explications émanant du système de communication de Roman Jakobson pour comprendre la situation qui s’impose désormais aux peuples. C’est pourquoi il me semble important d’observer, à partir de ses conceptions linguistiques, les dangers que fait courir cette langue du "tout-marché" au devenir de l’humanité.

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