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Numéro 25
Scalps d’Ivan Slater ou l’art sans œuvre (ou presque)

L’esthétique désigne, en partie, les rapports que la théorie critique entretient avec la production artistique. Deux vocables hantent ces dernières depuis des décennies : la forme/concept et le virtuel. À partir des possibilités offertes par l’œuvre d’Ivan Slater, et à la suite de son article dans le numéro précédent explorant la mort hégelienne de l’art, Yovan Gilles prolonge ici sa réflexion concernant l’esthétique contemporaine.

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Extrait

"Je m’intéresse à tout ce qui n’existe pas"- DIEU

Cette citation signée Dieu n’aurait peut-être pas déplu à Osclam, familier avec William Blake d’une théologie négative."La négation de l’existant", disait Osclam,"fait persister l’existant comme néant". Ce qui n’existe pas existe, par défaut de ne pouvoir se supprimer ; puisque niant ce qui existe, nous parlons de plus belle de ce qui est nié. La propriété de la négation est de conserver ce dont elle est négation. Ainsi, dirais-je, pour parapher Osclam, que le langage nous joue des tours selon que l’on se fie à lui ou que l’on se confie aux choses.

Soit. En Sartriens de circonstance, nous parvenons mal à chasser le néant de l’existence. La faute au langage ? À Dieu ? Court préambule qui me semble utile avant d’aborder l’œuvre résiduelle, mais actuelle, d’Ivan Slater.

Car, deux siècles plus tard, le jeune plasticien slovaque, baptisé par Catherine Tautavel : le Duchamp de l’intangible, dans l’article qu’elle lui consacrait en mars 2006 dans la revue Transverse, ne démentirait sans doute pas les propos relaps d’Osclam. Et son œuvre ou non œuvre, comme vous voudrez, en témoigne : de Cieux, présentée dans un terrain vague resté vague à Postdam en mai 1999 jusqu’à Esquisse, œuvre absente accrochée à des cimaises invisibles à la FIAC de Paris en 2007, et dont Robert Beauvais affirme qu’à travers cette dernière,"l’art contemporain y outrepasse jusqu’à la notion même de provocation et de transgression [1]", Slater ne se lasse de chahuter les idées reçues sur l’art conceptuel, pour les destiner à ce qu’elles sont : des idées irrecevables, pour rester poli.

Comment dépasser un recul ? Ou du concept en art

Le Duchamp de l’intangible a laissé derrière lui, et son maître Marcel, et les opérations de re-nomination des objets (urinoir, fontaine ou grille-pain) pour, toujours selon Catherine Tautavel,"entreprendre la conversion de l’espace artistique en pure vacuité". Ce que Yves Klein fit à l’occasion, mais à l’occasion seulement, Slater le fait en toutes circonstances.

Il a été reproché à Slater sa pugnacité intellectuelle et, de ce fait, son affiliation à la mouvance de l’art conceptuel. Slater s’insurge contre cette réputation de théoricien, arguant que ce n’est pas parce qu’il jouit initialement d’une formation philosophique que cela ferait de lui un artiste ergoteur, allergique au pathos. Slater se défend de parachever l’art conceptuel"en l’assommant", comme Jean Guido l’incrimine au contraire de le faire. Si l’art conceptuel se propose volontiers de faire l’économie du sensible, Slater surenchérit astucieusement dans cette voix. En prenant acte, il affirme que "l’art pourrait très bien faire l’économie de l’existence des artistes", ne serait-ce en raison du fait que les critiques ou les commentateurs à la théorie critique sont bien souvent plus créatifs et producteurs que les artistes eux-mêmes ; pas tous mais certains.

"On a voulu m’assimiler à l’art conceptuel, surtout ceux qui ont tout intérêt à penser que la réflexion est l’ennemie naturelle de l’émotion, moyen d’accès privilégié du grand public à la production artistique. Je le conteste. J’irais même plus loin, je suis un artiste qui fabrique moins des objets, qu’ il ne s’emploie à créer les conditions d’un regard sur ce que nous appelons le réel et l’irréel. L’idée ou la forme ne sont pas mes objectifs. Ce qui m’intéresse réside dans l’expérience que tout sujet fait de l’espace et du temps, avec le souci de percevoir autrement. Et cette expérience, si elle n’est pas exclusivement de l’ordre esthétique, ne relève pas non plus de la démonstration idéelle."

Et s’il ne restait plus qu’une intention artistique et que nous pouvions faire l’économie du sensible, comme en rêvèrent certains épigones de Duchamp à partir des années 1960 ? Faire l’économie du sensible désigne deux choses : d’une part, que nous pouvons passer outre le sensible pour former nos idées à son sujet et, d’autre part, que l’œuvre a vocation à valider ce à quoi l’idée l’assigne, en refusant à cette dernière un régime de vérité spécifique, irréductible à l’intelligible.

[...]

[111In Repaires - numéro 13 (mars 2008)