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Numéro 25
Manger ? Boire ? Respirer ? - Un autre Grenelle de l’environnement 3/3 : diagnostic planétaire. Les propositions de Jean-Luc Ménard
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Nous présentons ici le troisième et dernier volet des entretiens avec Jean-Luc Ménard réalisés dans le cadre d’un cycle d’émissions radiophoniques en trois parties intitulé "Un autre Grenelle de l’environnement" diffusé sur la radio Fréquence Paris Plurielle à l’occasion de la tenue du Grenelle de l’environnement. Les deux premiers volets intitulés "Energies, gaz à effets de serre, température" et "Effondrement des écosystèmes, pollutions, santé humaine et animale" ont été publiés dans le numéro web 23 de la revue, et sont toujours consultables sur notre site. Par ailleurs, nous avions publié l’entretien avec Jean-Luc Ménard "Le Pop : un polluant très Rock n’roll" dans le numéro 22 de la revue.

Jean-Luc Ménard évalue ici les alternatives qui permettraient à l’humanité de surmonter la pénurie alimentaire, la diminution des réserves naturelles en eau et en oxygène, ainsi que les conditions d’une agriculture viable qui cesserait de faire violence aux écosystèmes planétaires. Enfin, l’auteur aborde des solutions peu connues concernant la manière de lutter d’une façon globale et efficace contre les gaz à effets de serre et le réchauffement climatique qu’il induisent.

Extrait

Le jour du dépassement : réserves en eau et terres cultivables

Les périphériques vous parlent : Il y a aujourd’hui des questions apparemment naïves, mais que l’imminence des menaces qui guettent l’humanité a le don de rendre pertinentes : qu’allons-nous manger et boire demain ? Allons-nous pouvoir dans l’avenir continuer à respirer l’air que nous respirons aujourd’hui ? Manger, boire, respirer : trois nécessités impérieuses auxquelles nous ne pouvons de toute évidence nous dérober. Mais nous ne sommes plus certains que la planète y pourvoit indéfectiblement.

Jean-Luc Ménard : Effectivement, il s’agit là des trois besoins impérieux pour tous les êtres vivants. Nous pouvons dire que la multiplication des activités professionnelles et industrielles menace peu à peu la satisfaction de ces besoins vitaux. À commencer par l’alimentation. L’alimentation de la population mondiale suppose qu’il y ait suffisamment de terres cultivables à cet escient. Or, actuellement, quatre causes se conjuguent structurellement pour aboutir à une production de plus en plus insuffisante. D’abord, il y a la surexploitation des terres. Comme le Fonds mondial pour la nature (plus connu sous l’acronyme WWF) et de nombreux autres organismes scientifiques l’ont remarqué depuis un certain temps, il y a actuellement dans le monde 1 milliard et demi d’hectares cultivables. Mais, en fait, leur rendement actuel est équivalent à ce que produiraient normalement 4 milliards d’hectares. Il y a donc une surexploitation évidente liée à l’intensification de la production. La conséquence en est un moindre rendement des sols. Les maxima des variétés de plantes à haut rendement, les maxima de quantité d’intrants, c’est-à-dire les engrais, les pesticides, etc. sont bien souvent atteints, et les terres commencent à voir leurs rendements décroître.

Les périphériques : Ce qu’on appelle communément l’épuisement des sols.

Jean-Luc Ménard : Oui. Et ce phénomène s’amplifie aussi bien d’ailleurs dans l’hémisphère Sud que dans l’hémisphère Nord. Ce dernier a perdu près de 3 % en volume de matière organique ces 40 dernières années, et quand il n’y a plus de matière organique dans les sols, ces derniers deviennent stériles. Et puis, bien sûr, ces moindres rendements s’expliquent par la remontée des parasites (voir à ce propos le deuxième volet de l’autre Grenelle de l’environnement). J’ajouterais simplement que des essaims de criquets ont été observés dans l’Yonne durant l’été 2006, ce qui est assez inhabituel ; et ils se propagent régulièrement dans l’hémisphère Nord, entre autres exemples, dans la région de Samara, dans le bassin de la Volga à 900 kilomètres au sud-est de Moscou. Voilà donc des parasites que nous n’avions pas l’habitude de voir sous ces latitudes.

Il existe une troisième raison à ces productions insuffisantes : l’érosion (les 3 milliards de tonnes de sols, dont j’ai parlé lors du premier volet). selon la FAO, qui est l’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture, les sols cultivables se renouvellent 17 fois moins vite qu’ils ne sont exploités. L’érosion est donc plus rapide, et pour que 2 centimètres et demi de sol riche se forment, il faut entre 200 ans et 1000 ans.

Enfin la quatrième cause de cette production insuffisante est la diminution des terres cultivables. Trois exemples. La salinisation des terres notamment, par la montée des eaux marines, ampute la surface des terres cultivables de 1 million d’hectares par an. Quand des terres sont salinisées, il faut une bonne dizaine d’années pour qu’elles soient à nouveau productives. L’urbanisation, elle, fait perdre 3 millions d’hectares par an (notamment par l’étalement de l’habitat). De plus, on peut citer le tourisme. En effet, soit les personnes abandonnent les terres agricoles pour se consacrer au tourisme, soit les personnes sont contraintes de les abandonner, parce que l’eau est détournée pour les besoins plus lucratifs du tourisme. C’est le cas de l’Espagne, qui n’est pourtant pas un pays de l’hémisphère Sud. Elle consacre tellement d’eau au tourisme (par exemple, la Catalogne a été très récemment contrainte d’importer de l’eau) que les 2/3 des villages situés sur les terres agricoles sont en voie d’abandon et de désertion. Bientôt, il est probable que l’Espagne cessera d’être autosuffisante au plan alimentaire.

Ajoutons cependant une dernière cause : les agrocarburants. En effet, si on ne décourage pas le recours aux agrocarburants par l’augmentation du prix des céréales nécessaires à leur production, ces derniers risquent de contribuer à la raréfaction des terres cultivables, et, par conséquent, à la diminution de la production agricole. Actuellement, ces facteurs se traduisent par des hausses de prix qui sont encore modérées, mais qui vont prendre une ampleur intolérable pour l’immense majorité de la population mondiale. Deux exemples seulement : sur 2006/2007, les céréales sur l’ensemble de la planète ont augmenté de 100 % et, en France, sur les 3 derniers mois de 2007 et les 3 premiers de 2008, le lait a augmenté de 55 %. Deux exemples parmi des centaines, bien sûr, autant dire que question nourriture, ça ne se présente donc pas très bien.

Quant à l’eau, à l’échelle planétaire ce n’est pas un problème de stock mais un problème de flux. En effet, les 40 000 kilomètres cubes disponibles, du fait des précipitations planétaires annuelles, suffiraient à couvrir non seulement les besoins des 6 milliards et demi d’habitants, mais aussi les recharges des nappes phréatiques. Malheureusement, il n’en va pas ainsi, parce que deux types de comportements humains viennent perturber ces flux de précipitations. Premier problème : la surexploitation de ces eaux renouvelables. Par exemple, l’irrigation des terres agricoles représente à elle seule 70 % de la consommation planétaire d’eau pour seulement 40 % de la production agricole mondiale. Autre exemple avec le tourisme et cette fâcheuse manie de partir en vacances : un chercheur portugais de l’université de Lisbonne, Jorge Lourenco, a calculé que 950 litres d’eau étaient nécessaires chaque jour pour chaque chambre d’hôtel (sanitaires, thalassothérapie, piscine, hygiène, boisson ,etc.).

Pour préciser encore l’ampleur des mesures d’utilisation d’eau, citons quelques extraits du "Waterwise" de l’université de Stanford de Californie : il faut 75 litres d’eau pour fabriquer une puce informatique, 5 300 litres d’eau pour fabriquer un kilo de coton, que celui-ci soit équitable ou pas, et il faut 100 000 litres d’eau pour produire 1 kilo de bœuf.

Les périphériques : Diantre ! Comment la production d’un kilo de carne de bœuf peut-elle mobiliser un volume d’eau aussi considérable ?

Jean-Luc Ménard : Via l’apport en céréales, parce que, avant de débiter le bœuf en quartiers de viande, il faut produire les céréales pour nourrir le ruminant. Dernier exemple, il faut 150 000 litres d’eau pour produire une voiture. Cette surexploitation des eaux renouvelables issues des précipitations, combinée à l’évaporation due au réchauffement (1 000 milliards de tonnes d’eau s’évaporent chaque jour sur la planète) et à la dégradation des eaux redevable à la pollution, induit un second type de comportement humain également préjudiciable au problème de l’eau sur la planète : celui-ci concerne le recours, pour satisfaire des besoins de consommation démultipliés, à des aquifères fossiles qui ont mis des milliers d’années à se constituer (un aquifère est une formation géologique présentant la double propriété de stocker de l’eau et de la restituer).

Les périphériques : Les forages pour capter l’eau douce sont en effet de plus en plus profonds compte tenu de la disparité des eaux de surface.

Jean-Luc Ménard : Voilà, et surtout, ces forages prélèvent sur des réserves en eau qui sont là depuis des milliers d’années et qui, en principe, devraient être préservées pour les générations futures. Deux exemples notoires encore. En Espagne, en Andalousie, la région d’Almeria, qui est une région aquapathe complètement désertique, est devenue le potager européen. En effet, elle produit sur une surface globale de 27 000 hectares des fruits et des légumes hors saison, qu’elle exporte dans toute l’Europe, au prix de l’exploitation d’un aquifère fossile qui, à ce rythme, aura disparu sous peu. Deuxième exemple : l’ouest des États-Unis, avec un immense aquifère fossile qui s’appelle "Ogalalla", et qui est utilisé sans vergogne pour produire des plantes destinées aux agrocarburants.

Donc, garantir le manger et le boire, ne va pas être facile et, à ce propos, il faut relever que, pour l’année 2007, le 6 octobre fut le jour à partir duquel chaque humain mangeait et buvait davantage que ce que la terre pouvait produire. Cela s’appelle le "Jour de Dépassement" : il est calculé par trois organismes britanniques et américains. En 1987, ce jour tombait le 19 décembre. En 2007, il est tombé le 6 octobre. Plus on avance dans le temps, plus le nombre de jours pendant lesquels chaque humain mange et boit davantage que ce que la planète peut prodiguer augmente.

Les périphériques : Il faut considérer également que la consommation des êtres humains varie d’un pays à l’autre, d’un continent à l’autre, et que ces variations et ces répartitions inégales en nourritures et en fluides sont mesurables par le calcul de l’empreinte écologique dévolue aux uns et aux autres. Si tous les habitants de la planète devaient se hausser au niveau de vie moyen d’un Américain ou d’un Européen, à l’échelle de 6 milliards et demi d’habitants, certains spécialistes avancent que cela nécessiterait en ressources l’équivalent de 14 planètes terre.

Jean-Luc Ménard : Oui, les chiffres varient : cela peut être 5, 14, 9...

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