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Numéro 24 WEB
André Gorz : la biographie d’un écrivain, philosophe, journaliste, économiste, écologiste
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En ouverture de ce numéro, nous pensons qu’il est utile de faire figurer la biographie d’André Gorz. Nous la reprenons en grande partie de Wilkipédia puisqu’elle nous semble assez complète et équilibrée après vérification.

Né à Vienne (Autriche) en février 1923, André Gorz né sous le nom de Gerard Horst est le fils d’un commerçant juif et d’une secrétaire catholique issue d’un milieu cultivé. Si ses parents n’expriment pas un grand sens d’identité nationale ou religieuse, il est élevé dans un contexte antisémite qui amène son père à se convertir au catholicisme en 1930.

En 1939, sa mère l’envoie dans une institution catholique de Lausanne pour éviter sa mobilisation dans l’armée allemande. En 1945, il sort de l’École d’ingénieurs de l’Université de Lausanne avec un diplôme d’ingénieur chimiste. Il participe à cette époque aux rencontres de la société d’étudiants "Belles-Lettres", mais il porte surtout un intérêt à la phénoménologie et à l’œuvre de Sartre. Sa rencontre avec ce dernier l’année suivante marque alors sa formation intellectuelle. Débutant dans la vie active comme traducteur de nouvelles américaines chez un éditeur suisse, il publie ses premiers articles dans le journal d’un mouvement coopératif. En juin 1949, il déménage à Paris où il travaille d’abord au secrétariat international du Mouvement des Citoyens du Monde, puis comme secrétaire privé d’un attaché militaire de l’ambassade d’Inde. Son entrée à Paris-Presse marque ses débuts dans le journalisme. Il y prend le pseudonyme de Michel Bosquet et y fait la connaissance d’un chroniqueur, Jean-Jacques Servan-Schreiber qui, en 1955, le recrute comme journaliste économique à L’Express.
Parallèlement, il côtoie le groupe des sartriens et adopte une approche existentialiste du marxisme qui l’amène à accorder une place centrale aux questions d’aliénation et de libération, le tout dans le cadre d’une réflexion dont le fil conducteur est l’attachement à l’expérience existentielle et à l’analyse des systèmes sociaux du point de vue du vécu individuel. Ces références à la phénoménologie et à l’existentialisme marxiste constituent les fondements philosophiques de ses premiers livres, signés André Gorz : Le Traître (Le Seuil, 1958), La Morale de l’histoire (Le Seuil, 1959) et les Fondements pour une morale (Galilée, 19772). Dans le premier qui tient de l’autobiographie, de l’auto-analyse et de l’essai philosophico-politique, il exprime cette théorisation des conditions de la possibilité d’une auto-production de l’individu. Alors qu’il ébauche avec le second une théorie de l’aliénation, il marque dans le troisième son attachement au projet sartrien de réintégration de l’homme dans le marxisme à partir de la conscience individuelle.


Au cœur de sa réflexion s’impose donc la question de l’autonomie de l’individu. Il en tire une conception profondément émancipatrice du mouvement social où la notion de développement de l’autonomie individuelle est perçue comme la condition sine qua non de la transformation de la société. Cette idée que libération individuelle et collective se conditionne mutuellement, il la partage avec Herbert Marcuse, ami personnel mais surtout grande figure d’une École de Francfort dont les différentes générations d’auteurs (Max Horkheimer, Theodor W. Adorno, Jürgen Habermas) constituent l’autre grand faisceau d’influence de sa pensée. Marqué par le projet que sous-tend l’approche francfortienne - dépasser l’économisme de l’analyse marxiste traditionnelle de la société -, il critique la soumission de la société aux impératifs de la raison économique. Le structuralisme, de par son postulat (la centralité de la structure) et sa dénégation du sujet et de la subjectivité, fait aussi l’objet de violentes critiques.
Son positionnement à la fois anti-institutionnel, anti-structuraliste et anti-autoritaire se retrouve dans la ligne qu’il assigne à la revue Les Temps Modernes à partir de son entrée au comité de direction de la revue sartrienne (1961).

En effet, il a pris un tel ascendant intellectuel qu’il a vite dépassé ses attributions économiques pour assurer la direction politique. Il s’y fait alors l’écho d’italiens radicaux comme de Garavani, le communiste néo-keynésien Bruno Trentin ou le syndicaliste libertaire Vittorio Foa. S’imposant comme le chef de file intellectuel de la tendance "italienne" de la nouvelle gauche, il exerce une certaine influence sur les militants de l’UNEF et de la CFDT, notamment Jean Auger, Michel Rolant et Fredo Krumnow. Avec Stratégie ouvrière et néocapitalisme (Le Seuil, 1964), il s’adresse d’ailleurs spécifiquement aux mouvements syndicaux dans une exposition des différentes stratégies qui leurs sont offertes et d’une critique sévère du modèle de croissance capitaliste. La même année, il quitte L’Express avec Serge Lafaurie, Jacques-Laurent Bost, K.S. Karol et Jean Daniel pour fonder Le Nouvel Observateur.

Alors qu’il poursuit son élaboration d’une théorie des réformes révolutionnaires dans Le Socialisme difficile (Le Seuil, 1967) et Réforme et révolution (Le Seuil, 1969), la vague de contestation soixante-huitarde le marque profondément. Sa vision existentialiste du socialisme entre en convergence avec ce spontanéisme gauchiste qui dénonce comment les différentes formes d’institutions (l’État, l’École, la Famille, l’Entreprise, etc.) limitent la liberté de l’homme. Les thèses d’Ivan Illich sur l’éducation, la médecine ou l’abolition du travail salarié, s’imposent alors au centre de sa réflexion. Il publie ainsi en 1969 un de ses discours dans Les Temps Modernes et, en 1971, il le rencontre au Nouvel Observateur à l’occasion de la parution de son livre Une société sans école. Plus tard, il publie dans l’hebdomadaire une version résumée de Convialité (1973) sous le titre "Libérer l’avenir". Ses liens avec l’ancien prêtre se renforcent en 1974 lors d’un séjour en Californie dont il tire deux longs articles pour Le Nouvel Observateur.

Mais son évolution a des répercussions dans ses collaborations. Aux Temps modernes, dont il assume la responsabilité éditoriale depuis 1969, ses relations se dégradent au point, qu’en avril 1970, son article "Détruire l’Université" (avril 1970) provoque le départ de Pontalis et de Pingaud. Il y dénonce aussi la tendance maoïste dans laquelle s’inscrit la revue depuis 1971. Et, en 1974, un désaccord au sujet d’un numéro consacré au groupe italien Lotta Continua engendre sa démission du comité. Si elle reste "longtemps sans effet", cette démission reflète son éloignement de Jean-Paul Sartre. De même, au Nouvel Observateur, il est écarté du service économique au profit d’économistes plus classiques tout en menant une campagne contre l’industrie nucléaire qui vaut au journal des pressions importantes de la part d’Électricité de France en terme de publicité. Le refus de l’hebdomadaire de lui accorder un numéro spécial sur le sujet l’amène même à publier son dossier dans Que Choisir ? dans un numéro à succès.

Ses évolutions vont de pair avec son investissement au sein d’un courant de l’écologie radicale dont il s’affirme au fil de ses essais comme une figure majeure.

Le mensuel écologiste Le Sauvage, fondé par un homme - Alain Hervé - également fondateur de la section française des Amis de la Terre (1971), constitue à partir de 1973 un support de diffusion de ses idées écologistes. Pilier d’un journal qu’il pousse à une plus grande politisation, il y publie occasionnellement des articles. Mais il joue surtout un rôle avec son recueil d’essais et d’articles Écologie et politique (Galilée, 1975) dont l’essai Écologie et liberté constitue à lui seul "un des textes fondateurs de la problématique écologique". Il y rompt avec une tradition libertaire qui inscrivait jusque-là sa réflexion dans une logique de subversion du système capitaliste. Dans une esquisse de mariage entre marxisme et écologie où il s’écarte temporairement de ses présupposés existentialistes et phénoménologiques, il tente d’apporter une réponse écologique aux besoins du système tout en dénonçant les implications destructrices du paradigme productiviste en matière d’équilibres écologistes et sociaux.

Au travers d’une pensée fondamentalement anti-économiste, anti-utilitariste et anti-productiviste, il allie ce rejet de la logique capitaliste d’accumulation de matières premières, d’énergies et de travail à une critique du consommationisme amplifiée après sa lecture du rapport du Club de Rome sur les limites de la consommation. L’influence de Louis Dumont se fait ensuite ressentir dans la vision qu’il adopte de la tradition marxiste comme découlant, au même titre que la tradition libérale, d’une pensée économique. Son opposition à l’individualisme hédoniste et utilitariste autant qu’au collectivisme matérialiste et productiviste reflète l’importance qu’a chez lui la revendication des valeurs de la personne. Sa défense de l’autonomie de l’individu étant consubstantielle à sa réflexion écologiste, il s’attache, avec Illich et contre les courants environnementalistes systémistes ou écocentristes, à défendre un courant humaniste pour qui l’environnement se conçoit au sens large comme un environnement humain.

Après Écologie et liberté, sa présentation de l’écologie comme un outil de transformation sociale radicale et frontale du capitalisme reflète une conception nettement plus anticapitaliste. Mettant l’accent sur la relation intrinsèque entre productivisme, totalitarisme et logique de profit, il affirme notamment un lien structurel entre crise écologique et crise capitaliste de suraccumulation. Il appelle alors à une "révolution écologique, sociale et culturelle qui abolisse les contraintes du capitalisme". Mais il aspire aussi à réconcilier ce projet écologiste avec l’utopie socialiste d’une abolition du salariat. Celle-ci est présente dans ses Adieux au prolétariat (Galilée, 1980), contestation virulente du marxisme et du culte du prolétariat qui heurte les cercles de la gauche traditionnelle mais recueille un succès (20 000 exemplaires) auprès d’une génération pour qui les grandes centrales sont devenues des institutions ne répondant pas aux aspirations individuelles à une plus grande autonomie.

Le début des années 1980 marque sa rupture avec différents courants auxquels il avait été lié. D’abord, avec la mouvance sartrienne dont il cesse de collaborer à la revue après la mort de son fondateur (1980). Ensuite, avec les différentes sensibilités marxistes dont il réplique aux attaques avec Les Chemins du paradis (Galilée, 1983). Enfin, avec les mouvements pacifistes lorsque, en 1983, il refuse de s’opposer à l’installation de missiles nucléaires américains en Allemagne de l’Ouest, arguant qu’ils avaient "placé la vie au-dessus de la liberté". Cette même année, il se retire du Nouvel Observateur.

Les revues Multitudes et EcoRev’ (Revue critique d’écologie politique) ont publié plusieurs articles de lui. Entropia (Revue d’étude théorique et politique de la décroissance) a publié dans son numéro 2 en mars 2007 l’un de ses derniers textes, alors que son ultime article, écrit quelques jours avant sa mort pour la revue EcoRev’, est le point de départ du numéro 28 de la revue : "Repenser le travail avec André Gorz". De formation marxiste, il a effectué une analyse fine du capitalisme, notamment dans ses aspects les plus modernes, expliquant comment il utilise des capacités des travailleurs qu’ils ne peuvent développer que par un système de formation9, et des investissements personnels qui ne sont pas rémunérés. Il devint favorable à l’instauration d’un revenu social, indépendant du travail, développant notamment ses réflexions autour de la différence entre richesse et valeur, cette dernière se distinguant par son caractère monnayable.

Il met fin à ses jours à l’âge de 84 ans, avec sa femme Dorine, atteinte d’une grave maladie, le 22 septembre 2007 dans sa maison de Vosnon (Aube). C’est à elle qu’il avait consacré en 2006 le livre Lettre à D. Histoire d’un amour, une ode à Dorine.

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