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Numéro 22
La prévision mortelle de Hegel
par Yovan Gilles
Photo Tendance Floue

L’art exprime-t-il vraiment la manifestation sensible de l’idée comme le pensait Hegel ? Si oui, vive l’art conceptuel ! Si non, offrons-nous encore quelques siècles d’opacité, où la matière résisterait à "l’esprit".

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Extrait

Hegel annonça "la mort de l’art" et Nietzsche, plus tard, prophétisera "la mort de dieu", lui qui, au contraire, de son propre aveu, n’aurait pu concevoir d’existence sans musique, sans art donc. Hegel n’a malheureusement jamais dit où et quand cet effroyable trépas interviendrait. La mort de l’art plus pathétique que celle d’un proche. Hegel n’était ni astrologue ni futurologue mais philosophe. Y a-t-il vraiment seulement cru à cette mort, lui qui, dans son Esthétique, a sondé amoureusement dans les moindres détails, comme nul autre ne l’avait fait avant lui, les manifestations multiples de l’artistique et du sensible émaillant l’histoire humaine des âges obscures et antiques au Romantisme ? Ou bien l’attitude des artistes de son époque lui aurait-elle inspiré cette issue mortelle ? Les artistes plus parleurs que faiseurs, dorénavant, se fieraient davantage aux vertus du logos qu’aux prodiges de la tékhné, s’efforçant de légitimer par le verbe l’œuvre n’arrivant plus à valoir par elle-même dans sa percussion première. Et le handicap du sensible réside justement dans le fait qu’il a besoin du concept pour être perçu comme tel, c’est-à-dire comme une fabrication humaine se doit d’être pénétrée par une idée rectrice, imprimant à la matière un trait de l’esprit. La philosophie vole alors au secours de l’art, lui faisant grâce d’un éclairage artificiel. La lumière ne vient plus naturellement du tableau, mais d’un commentaire qui, du dehors, l’électrise.

Magritte affirme qu’il n’est pas un artiste, mais quelqu’un qui pense. Tant et si bien que les traités qui marquent les grandes ruptures esthétiques sont seuls en mesure de livrer la lecture des productions captives de leurs splendeurs mutiques et que seule la philosophie, en dernier lieu, sait faire parler, déchiffrer, en formulant le sens caché vers lequel tendrait le geste artistique enfin conscient de lui-même. Vraisemblablement, l’émergence de l’art conceptuel au milieu du 20ème siècle aurait pu être le signe précurseur mais aussi culminant de cette mort prédite par Hegel, s’il n’y avait eu le cinéma pour tromper le dépérissement d’une fin de cycle. L’art comme pur concept, comme pure conception de l’esprit, émancipé de la matière comme l’esclave affranchi de ses chaînes. Le songe d’Hegel.