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Numéro 18
La sensibilité de la société du spectacle

Dans les numéros précédents des Périphériques vous parlent, nous avons souvent débattu de la Mondialité, un concept que nous opposons à la Mondialisation économiste. Cet article est composé de deux parties, la première que nous publions ici, cherche à entrer un peu plus profondément dans le vif du sujet de "la société du spectacle" d’aujourd’hui, en essayant de cerner la Narration dominante véhiculée par le médiatique, instrument de la pensée unique de l’économie de marché. La deuxième partie (à paraître dans le prochain numéro) s’interrogera sur la définition d’une autre sensibilité, au plan culturel et politique, dans une société du show business où le show fait son business et où le business fait son show. Ces deux textes se proposent de dégager quelques éléments de réflexion, susceptibles de constituer des "conditions initiales" à une narration autre.

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Extrait

Depuis deux années maintenant que la droite est au pouvoir, elle n’a cessé de remettre en cause, en toutes occasions, les 35 heures et les "acquis sociaux" engendrés par les luttes sociales du vingtième siècle. Dès le départ, elle a déterré un "dada" bien des fois enfourché par les classes au pouvoir : le travail, le travail en tant que remède social. C’est là une idée chère aux conservateurs qui perçoivent avant tout le travail sous la forme d’une hiérarchie pyramidale qui place chacun à sa juste place. La télé-réalité n’a pas manqué, dès que la droite a pris le contrôle des affaires, de s’engager sur ce créneau idéologique. Ainsi, avec la troisième Star Académie, un journaliste dans un quotidien (France-soir du 16 octobre 2003, journal que l’on ne peut certes pas classer à gauche) la qualifie tout simplement "d’émission qui n’hésite pas à placer la valeur travail au-dessus de tout". Le reality show (la réalité qui fait son show, un show qui crée la réalité) emboîte en cela le pas aux discours des dirigeants du MEDEF et aux responsables du gouvernement.

Reste à voir, quelle réalité ces gens-là donnent au terme travail. Il suffira de regarder Star AC 3 pour comprendre très vite que la valeur travail que propose l’émission n’a rien à voir avec les luttes ouvrières, sociales ou syndicales, ni avec ce qu’ont pu écrire Marx et les penseurs révolutionnaires qui se sont succédés depuis les premières révolutions industrielles. La Star AC 3 célèbre très ouvertement "la vertu travail" qui s’épanouit dans le respect absolu des valeurs de discipline, d’obéissance, de respect auxquelles les sélectionnés doivent se soumettre. Les rapports entre les jeunes stars académiciennes et leurs professeurs en sont un témoignage éloquent. Parler de "professeur" est une hyperbole, ça va de soi, ces cadres reconnus de la farce académie se comportant plutôt en contremaîtres tatillons et brouillons, émoustillés par le pouvoir que la Chaîne leur concède.

En fait, le modèle de travail que célèbre l’émission est le travail-labeur, le travail qui donne satisfaction aux supérieurs, aux maîtres considérés comme "les autorités légitimées de droit" pour apprécier la conduite, plus que les capacités, de chacun. Dans cette logique, autant que le pape, le supérieur, le prof sont infaillibles. De plus, aussi durs, "méchants" seraient-ils, les cadres œuvrent libéralement (le terme est particulièrement bien choisi, en l’occurrence) pour le bien de tous. Notons, au passage que dans la société de marché, le terme "tous" désigne très précisément la masse salariale regroupée dans les ressources humaines. Quant à ceux qui n’y trouvent pas leur place, les mots "exclus", "chômeurs", "précaires" indiqueront la situation de chacun dans la mouvance du travail. Pour en revenir à la Star Ac, l’exclusion est la règle royale comme pour la majorité des émissions de télé-réalité, d’ailleurs. Elle est la base même du scénario qui conduit à la starisation suprême d’un seul : le gagnant, perçu, le comble, comme celui qui sait le mieux se vendre. Chaque semaine un des sélectionnés est "sauvé" par ses copines et copains tandis que le deuxième est éliminé. A cet égard, ce qui mérite d’être relevé est moins l’étalage des mignardises, des pleurs, des autocritiques les plus absurdes, des flagellations maso et grotesques que donnent en spectacle les candidats à "la starisation" que la célébration en sous main de la valeur travail/labeur même combat : "tu travailleras à la sueur de ton front", et le ciel te sera ouvert. Ce que l’on oublie d’ajouter est "sous le ciel, l’enfer". Et encore : "sous les pavés la plage", le spectacle de l’élevage intensif des stars jetables, l’unique réalité que l’économie de marché est capable d’engendrer. Qu’importe la qualité du spectacle ubuesque de la machine à décerveler tout à chacun, tout à chacun avec tous les autres, tout le monde immergé dans une bouillis d’idées à rebours, de mensonges puérils, soumis sans défense au cynisme dédaigneux des maître du spectacle ! Qu’importe ! La visée essentielle du "jeu" est que le terme travail sous-entende besogne, une obligation humaine à laquelle nul ne peut échapper, qu’il le veuille ou non.