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Numéro 2
Élements concernant la dépense
Par Les Périphériques vous parlent | Paru le septembre 1994

Bien évidemment ce texte ne prétend pas épuiser la complexité des problématiques socio-économiques que cette notion soulève. Mais, en dépit de leur caractère provisoire, il nous a semblé important de livrer ces réflexions à la discussion. }

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PRODUCTION, CONSOMMATION ET CULTURE DE MASSE

Le système de consommation de masse est une conséquence de l’expansion industrielle du XXème siècle fondée sur la production de masse. Ces quarante dernières années, le triomphe de la « société de consommation » a fini par imposer dans la plupart des sociétés industrielles une culture incitant à la multiplication des besoins en produits de masse et à la soumission d’un consommateur type à l’offre du marché.

Dans le même mouvement les classes sociales se sont alignées sur des modes de consommer identiques. Les agents économiques : travailleurs, employés, patrons, salariés, ont progressivement été amenés à être tributaires du système de production et de consommation de masse, au point de s’agglomérer dans une unique classe de consommateurs : « la middle class ». Il suffit de constater, aujourd’hui, comment l’individu est moins perçu à travers son appartenance de classe qu’à travers son mode de consommation.

ÉVOLUTION VERS UNE PRODUCTION AXÉE SUR LA QUALITÉ

Mais depuis une vingtaine d’années - dans le cadre d’une révolution technologique qui entraîne une évolution des modes de production (voir sur ce point le chapitre La crise ou la longue agonie du taylorisme.) - le développement économico-industriel oblige de plus en plus les entreprises à adopter des critères de production axés sur la qualité : qualité du produit, des services, mais surtout, ce que cela implique : qualité des hommes.

Dès l’instant où les exigences de la qualité s’imposent au marché, le système qui assurait l’équilibre entre l’offre et la demande va se trouver complètement bouleversé. C’est que cette évolution radicale des modes de production, qui implique de passer de la norme quantité à la référence qualité, a du mal à trouver son expression au plan socio-culturel (famille, société, modes de vie), se heurtant à un collectif social dépersonnalisé qui n’arrive pas à décrocher des habitudes et des dépendances de la consommation de masse (voir sur ce point, et dans le domaine agricole les propositions des étudiants de La Saussaye).

D’autre part, pour la plupart des entrepreneurs, il ne s’agit que d’assurer une qualité meilleure du produit pour affronter la compétitivité dans le cadre de la production de masse. Or l’expression d’une production axée sur la qualité ne peut se borner à impliquer seulement le produit. Elle affecte en premier lieu l’homme lui-même, elle engage à son changement : le producteur aussi bien que le client. On entre dans un autre espace de marché, dans un type de commerce entre les hommes complètement différent, l’homme devant être tout autre chose qu’un consommateur.

DE LA CONSOMMATION À LA DÉPENSE

De même qu’en opposition à l’agent interprète, très fidèle consommateur de produits de masse, nous avons proposé le protagoniste acteur, face à la consommation, nous hasarderons l’acte de dépense. Cette notion de dépense pourrait être définie très généralement comme un « usage culturel » de la croissance dans le cadre d’un développement social et humain.

Avec la dépense, il s’agit d’avancer une manière de penser les conséquences de toute production, de tout accroissement des richesses.

Au plan de l’économie de marché, la dépense sous-entend une médiation de l’échange à travers l’argent. D’une part, pour satisfaire des besoins (consommation) et d’autre part, pour investir dans l’activité de production. Pour « dépenser », nous dirons qu’il ne suffit pas simplement de consommer un produit, il s’agit de bien peser les répercussions de l’utilisation du produit. Le terme « utilisation » implique non seulement l’examen de l’utilité immédiate du produit, mais bien plus, il demande à prendre en compte les conséquences que cette utilisation génère, aussi bien en terme de satisfactions escomptées (à quel type de connaissance, de formation, d’activité donnent-elles lieu), qu’à travers l’évaluation des dommages éventuels que le produit peut engendrer dans d’autres contextes. (Sur ce point il suffit de constater les nuisances innombrables engendrées, par exemple, par la production automobile ou la télévision durant ces dernières décennies). Dépenser, donc, c’est penser l’usage de ce que l’on se procure.

À l’encontre de la consommation, la dépense exprime une activité qui implique l’apparition d’un client actif, un « client acteur », capable de dynamiser le marché, c’est-à-dire ayant des besoins personnalisés.

Dans un marché de plus en plus orienté vers la production de qualité, la formation d’un homme ayant des besoins personnalisés, devient le meilleur facteur de développement du marché. Celui-ci se trouvera fortement accru si l’homme n’est pas seulement un consommateur, celui qui répond à la demande, mais si son activité de dépense le conduit à produire une demande : une valeur ajoutée au produit qu’il achète, c’est-à-dire qu’il ajoute à travers son activité.

Ces remarques nous amènent à reconsidérer complètement le commerce comme une relation qui privilégie l’homme plus que le fric.

Ceci implique de penser un autre type de croissance qui serait bien plus productive que l’actuelle guerre commerciale basée sur une compétitivité destructive des ressources humaines, au seul bénéfice de la conquête de marché par des minorités multinationales ou autres, complètement détachées des exigences concrètes des populations.

Si l’on tient absolument à en rester à l’économie de marché, il va bien falloir transformer le marché. Renoncer à un marché où le client se résigne à n’être qu’un consommateur puéril de produits que le matraquage publicitaire ininterrompu lui impose, pour un marché où le client serait réellement roi. Le client, tout autant que l’entrepreneur, doit inciter à la production de biens nouveaux, d’un autre type. Un client qui n’a que les besoins que lui propose le marché ne suffit plus, aujourd’hui, à lui donner une santé. Il faut faire en sorte que la demande soit productive, qu’elle accompagne, sinon motive l’offre. Il faut aider les entreprises « pionnières » autant que l’on aide les entreprises « me too ». Aujourd’hui les entreprises pionnières ne peuvent, par définition, que s’orienter vers une production axée sur la qualité. On ne les soutiendra qu’en assurant sur un autre plan : le plan social, une politique très large visant au développement de la personnalité des individus dans le cadre économique, social et culturel.