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Numéro 2
La formation de la personnalité
Par Les Périphériques vous parlent | Paru le septembre 1994

Certes, nous sommes tous égaux. Tous. Mais disons à une petite différence près pour chacun, et cette petite différence, cette préférence que l’on porte à tel aspect particulier de sa personne, c’est cela qui constitue la base même de la personnalité - ce par quoi, semblable à tous les autres, chacun est soi-même. C’est cette petite différence qui fait toute la différence, elle circonscrit la question de la personnalité.

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« Impliquer ma personnalité dans mon travail, mes actes quotidiens, ne m’engage-t-il pas à trouver mes possibles ? Dès l’instant où ce que je produis me semble venir de moi, ne suis-je pas mieux disposé à me motiver, à m’engager, à communiquer, à me produire avec les autres ? » Ces considérations, ou à peu près, se sont vraisemblablement présentées à la plupart d’entre nous.

Nous ferons trois observations sur le développement de la personnalité ; elles porteront sur : un - les possibilités « d’expression » spécifiques à chacun, deux - la connaissance des différences individuelles à partir de quoi se constitue la personnalité, trois - la capacité d’interactivité des individus dans un même groupe. Ces trois plans s’entremêlent, sont inséparables les uns des autres ; ils constituent une dynamique, une activité incessante, seulement saisissable à travers leur relation.

un - La question des « possibilités d’expression propres à chacun » engage à une pratique. On pourrait l’exprimer ainsi : « Comment m’exprimer ? » Cette question évidemment engage le vivant, par là, nous entendons « l’homme vivant, présent dans l’action » [1].

Les exigences de cette formation à la personnalité dans le cadre d’une activité concerne en premier lieu ce point : connaître puis cultiver ses capacités, ses aptitudes à agir selon ses moyens. Il importe d’exprimer et de s’exprimer à travers ce qui fait de chacun un être spécifique, c’est-à-dire « autre », mais, on le verra, « autre avec les autres », et surtout « grâce aux autres », et par conséquent, juste retour des choses, « à partir de soi-même ».

deux - « Apprendre à connaître les différences propres à chacun » devrait amener à comprendre ce qu’il en est de la personnalité. Dans une première phase, l’important est moins l’acquisition d’un savoir que la question des moyens mis en œuvre, en vue d’utiliser toutes les possibilités disponibles de chacun ou d’un groupe ; encore faut-il les découvrir, cela devrait faire partie intégrante de la recherche, ne l’oublions pas !

La recherche de la libre expression concernant chaque individu dans un groupe, l’aspiration commune poussant à inventer une expression propre, liée à l’expression des différences de chacun et ceci en interaction avec d’autres groupes, appelle à la reconnaissance d’un droit fondamental : le droit pour chacun à l’expression de sa différence. Nous disons bien « expression de sa différence » parce que cette expression pourra soutenir une lutte d’une nature toute autre que le combat pour « le droit à la différence ».

« Le droit à la différence » fait appel à une reconnaissance formelle des différences de l’autre. Le droit à la différence, par exemple, autorise parfaitement un individu, un groupe, une communauté à s’enfermer dans sa différence contre les autres ou quelques-uns, bien ciblés. En s’appuyant sur de soi-disant états de fait ou de droit, un « étant déjà-là » quelconque, un groupe, une communauté peuvent très bien se prévaloir de leur droit à la différence pour rejeter tous les autres en dehors d’un territoire, d’une communauté qu’ils prétendent la leur ; le fascisme parvient tout à fait à manipuler une telle logique. Les philosophes du « Club de l’Horloge » n’y ont pas manqué. Les nationalismes et tous les intégrismes, non plus.

Le droit à l’expression des différences a une consistance bien autre. Il n’invite pas à la reconnaissance (acte passif) mais à la connaissance l’acte actif de connaître : un vouloir savoir). La reconnaissance joue sur une déclaration formelle : « je vous reconnais » ; à chacun son quant-à-soi et chacun chez soi et les différences seront bien gardées. « Certes, je reconnais "sa" différence mais ce n’est pas "la mienne", à la limite, elle ne m’intéresse pas ». La reconnaissance se présente à travers l’image, que l’on se fait de l’autre ; le plus souvent, c’est un cliché. En l’occurrence, le résultat le plus positif que l’on puisse attendre du droit à la différence est la tolérance. Le principe d’encagement s’ensuit. Encagement dans la référence à soi-même, dans le conformisme de groupe, dans « l’enfer c’est l’autre, restes-y, et touche pas à mon paradis ».

Le droit à l’expression des différences concerne la connaissance de l’expression de l’autre, plus qu’une simple reconnaissance formelle qui nourrit la logique d’exclusion. L’intérêt que chacun manifeste à l’autre se pose, dans ce cas, en terme d’expression : « je dois comprendre l’autre à travers son expression ». L’expression est l’élément de base de la communication. Elle n’est pas une image mais élément d’un dialogue, « l’attente d’une réponse » : « comment me faire comprendre, si je ne veux pas d’abord comprendre moi-même mon interlocuteur, si je ne me mets en situation d’attente d’une réponse ? » On peut, certes, s’exprimer pour soi-même ; mais l’expression humaine est d’abord un fait social qui commence avec la naissance, l’enfance, avec l’apprentissage de la langue, dans la famille, à l’école. Elle se fonde à partir des relations humaines qui se nouent dans un milieu, une société, un pays, à une époque donnée, et surtout à travers incessants changements qui ne touchent pas chacun de la même manière. En bref, elle repose sur ce postulat : « pour faire - puisque faire, je dois - il faut se comprendre (avec l’agere dans le drama à travers la praxis) ».

trois - « La capacité d’interaction des individus au sein d’un groupe », introduit dans son sens large la notion de communiquer. Interactivité, c’est en tout premier lieu, trouver des procédures, des dynamiques inventives pour communiquer. Mais de quel type de communication faisons-nous état ? Qu’est-ce que l’interactivité ?

Interactivité ? Le mot, d’entrée de champ, accumule les platitudes. Il a fait les beaux jours de la dynamique de groupe, et son sens ne déborde guère la sphère étroite d’une mise en place de procédures diverses pour améliorer les relations humaines dans le cadre d’un groupe, d’une équipe ou d’une petite communauté.

Pour nous, le mot interactivité ne peut prendre un sens qu’à évaluer précisément les types d’activités qu’elle implique dans un cadre de relation ou de communication. Communiquer, si nous en restons au plan des relations humaines, sous-entend relations entre individus qui échangent des informations. Ce qui nous intéresse, en l’occurrence, c’est le type particulier de relations, donc la qualité de la communication qu’un groupe visant à s’exprimer est capable de concevoir pour présenter un projet commun. Nous retiendrons, par conséquent, avant tout, de son étymologie latine l’expression : « en relation avec » et la préposition « avec » plus que le substantif « relation », et dans le terme « avec » nous nous intéresserons plus à l’implication : avec quoi ? qu’à la question : avec qui ? « Dites-moi avec quoi (les idées, les moyens, les techniques, les procédures), comment (les stratégies mises en place), de quelle manière (les usages originaux, plan des compétences individuelles et des activités de groupe) vous communiquez ? et j’arriverai peut-être à me faire une idée de ce que vous voulez me dire et où vous voulez aller ».

Communiquer c’est, en toute première instance, informer et dans information il y a le vocable « former » : donner une forme. La question qu’il faudrait maintenant poser nous semble devoir être : quelle forme donner ? Le simple bon sens nous dit qu’il y a toutes sortes de formes, des plus simples aux plus complexes, des plus libératrices aux plus oppressives. Ce qu’il convient donc de fouiller, c’est quel rôle l’information donne aux divers intervenants et, en même temps, à quoi un système de communication réduit l’information : à son spectacle ou à son traitement ?

[1C’est ce point de vue qui nous amène à proposer, par ailleurs, « la théâtralité » comme moyen de formation, non pas d’un « savoir-faire », mais d’un « savoir être ». Il s’agit, en l’occurrence, de savoir être « auteur de ses actes ». (Sur ce point, voir l’article sur le Laboratoire d’études pratiques du changement)