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Numéro 4
Théâtralité/politique :
d’un certain mélange des genres
Par Yovan GILLES | Paru le janvier 1995

Lorsque le théâtre cesse d’être une parodie du monde réel : le spectacle de la représentation, il peut alors exprimer l’appropriation par des acteurs, des hommes réels, de la scène de la vie. Le point de vue d’un participant à la pratique politique et artistique engagée avec Les périphériques vous parlent et Génération Chaos.

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LE SABOT DU CHEVAL

Je placerai ces mots dans la bouche d’un spectateur qui, au cinéma, s’aviserait : « un film réussi est un film qui nous fait oublier que c’est du cinéma, une bonne histoire s’emploie à faire oublier qu’elle est une fiction ».

Une opinion envahissante sur l’image en général part de cette idée qu’elle serait un simple médium, véhiculant un contenu que l’on jugera en référence à la réalité réelle ou imaginaire qu’il est censé représenter. Par « réalité » j’entends ce texte primitif, précédant le langage cinématographique et que ce dernier devrait nous restituer de façon plus ou moins complète. L’approbation « on y croit », par ailleurs, devant confirmer cette vocation de l’image produisant des impressions, qui confondent chez le spectateur la différence entre « la réalité réelle » et la représentation qui en tient lieu [1].

Récemment, je remarquai dans le film de Coppola Coup de cœur rien qu’un détail qui inflige un démenti à cette opinion. Une scène du film montre un décor qui ressemble à un décor, (en l’occurrence les montagnes de l’Arizona l’été sous un ciel étoilé) sur fond duquel des amants brûlent leur passion. Le « dispositif-décor » est montré en tant que tel sans qu’il soit question de faire illusion du « vrai paysage ». Cet artifice, ce « faux sans réplique » - pour détourner une formule de Guy Debord - diverge, selon moi, du « vrai-semblable » : du semblable au vrai, l’idée que l’on se fait de la réalité vraie, celle que l’on va représenter et dont l’image devrait être l’analogue.

Car l’idée de représentation présuppose toujours pour la conscience une vérité que l’image devrait lui réfléchir, et que bien souvent elle lui mâche. Cette réalité vraie désigne au spectateur comme « une réalité sans réel » qui, à la fin du film, le laisse à la consommation d’un mirage : « ce n’était qu’un film ! le temps d’une illusion », dit-on - cette adhésion à la puissance illusoire de l’image qui a tôt fait de me livrer aux amertumes d’une descente de trip. Pourquoi veut-on me faire oublier que je suis assis là en train de regarder un film, film qui ne montre ni choses, ni personnages calibrés pour l’espace de la fiction, mais déploie l’avenir d’une image et les aventures d’un regard qui lui survive ?

Parce qu’ailleurs, à Mantoue au palais du Té, toujours dans le hors-sujet, il y a une fresque de l’École Maniériste qui leurre chez le touriste la certitude de voir. Elle figure un paysage au premier plan duquel un cheval capte d’évidence l’attention : le mammifère hasarde un sabot en dehors du cadre de la fresque, qui est peint. Le trompe-l’œil est produit par le fait que le sabot repose sur l’entablement d’une porte du palais, que la fresque surplombe ; de là pour le visiteur cette suggestion que le trot du canasson l’entraîne vers « une sortie de cadre ».

Le cadre du tableau est par là désigné comme le cadre de la représentation, dont le trompe-l’œil digresse la limite. Mais cette digression conserve plus qu’elle ne détruit la fonction du cadre. Par cet effet d’optique, ou plutôt cet effet de surface, elle met en jeu une certaine mobilité du regard.

Cette mise en jeu s’apparente à la recommandation hilare du peintre qui s’adresserait ainsi à l’amateur : « le sabot de la carne t’indique comme une boutade le hors-cadre. » Mais ce hors-cadre n’est pas le dehors du tableau. « En dehors du tableau ton regard est aveugle. À l’inverse si tu t’obstines à fixer ce que montre le tableau et que tu penses que ce qu’il montre rassemble la totalité du visible, alors tu passes à côté du hors-cadre et tu n’auras rien vu du tableau. »

Ce hors-cadre doit donc bien être une dimension du tableau dérobée à ton regard, absorbé au point de fixation du visible, dans l’abandon à l’évidence du sujet.

Mais s’il n’est une région du tableau, n’est-il pas plutôt alors façon de voir ? Et ce que la peinture communique là à l’amateur n’est-ce pas l’émergence d’une vision de la vision ?


L’acteur ne joue vraiment que s’il se met en jeu : qu’il devient l’enjeu par lequel il s’attire la chance du devenir. Il joue pour connaître, sa maîtrise ne le précède pas, mais le tente quelque part au bout de ses actes.


Que les choses ne soient pas visibles, mais qu’elles le deviennent - Klee dit « rendre visible » - exige du regardqu’il apprenne à voir. Mais n’appelez surtout pas cela éducation du goût ou formation du jugement, il s’agit plutôt de la découverte d’un champ du réel possible ; une façon encore d’affirmer que ce que nous appelons réel est le produit d’un mode de description, d’un certain cadrage, et qui peut former au-dedans de nous soit un espace d’exclusion et de fixation, soit une vision du hors-champ et de la digression.

C’est ainsi que ce tableau m’est apparu en quelque sorte comme une « opération visant à changer le regard ». Et c’est cet aspect opérationnel de la peinture qui captive, c’est-à-dire ce régime d’activité que l’œuvre propose comme genèse de la vision et non plus comme objet « donné » à la perception. Tout le contraire de l’aveuglement lorsque l’objet devrait refléter l’opinion formée en moi par les critères et la catégorie esthétique à laquelle le référer.

D’une scène à l’autre, « à travers la théâtralité, il ne s’agit pas d’exposer à un public une "vérité de représentation » ou la représentation d’une vérité mais la vérité des hommes qui agissent dans le cadre d’un réel de la scène ». C’est de cette façon que j’avais défini de façon lapidaire mon travail d’acteur. Cette théâtralité a fait ses preuves et a déjà donné ses raisons [2]. Ce « théâtre des opérations », dont parle Marc’O, un « théâtre opérationnel », délimite un « espace d’activité » où agir « en acteur » plutôt qu’une scène de la représentation où « interpréter un rôle ».

J’aimerais m’expliquer ici sur le sens et les conséquences de ces affirmations par un détour.

UNE PRATIQUE DE L’INFORMATION

Avec les protagonistes des Périphériques vous parlent et de Génération Chaos nous intervenons, depuis plus d’un an avec des saynètes sur les campus d’université, dans la rue, lieux et réunions publiques façon commando (15 à 20 personnes). Il s’agit là de prises de position et de parole qui suscitent dans leur sillage des débats improvisés avec les gens ; quelquefois nous nous frottons aux forces de l’ordre, comprenez des frictions avec les forces de l’ordre du discours qui font respecter le bon usage de la parole.


Un humanitaire à un étudiant :
« de quoi vous plaignez-vous donc, alors que des millions d’enfants meurent de faim de par le monde, et n’ont plus rien ? »

Un humanitaire à un enfant déshérité du tiers monde :
« tu te plains d’avoir faim alors que des millions d’enfants sont déjà morts ? »

Un humanitaire à un enfant mort :
« au moins toi tu reposes en paix. Pense un peu aux millions de vivants qui continuent d’endurer les pires souffrances. »


La plus récente des saynètes donne les chiffres de la pauvreté en Grande-Bretagne - 1 enfant sur 3 est pauvre en Grande-Bretagne. Il s’est agi, en l’occurrence, de « théâtraliser » une statistique, suivie d’un discours prenant la mesure du désastre dont elle chiffrait l’ampleur au plan social. Notre intention sur ce point n’était pas d’ajouter un commentaire aux analyses qui font pléthore sur ce phénomène, mais de donner corps à une information, dont le sens et la portée sont dérobés au citoyen. Notre dessein, par ailleurs, n’a jamais rien sacrifié à l’ambiguïté sur le point « du politique ». Ces interventions, si elles permettent un éveil de la population, n’en doivent pas moins être suivies de la création d’une force de résistance que nous voudrions résolument contagieuse.

Ce « discours en acte », pour ainsi dire, s’achève par la phrase de Serge DANEY : « L’information n’est pas un dû mais une pratique ». Rajoutons, soutenu d’un esprit aussi peu objectif que possible, en l’occurrence totalement étranger à la neutralité de ton requise pour ménager le spectateur.

C’est que la désinformation ne consiste pas tant dans l’omission ou la falsification des faits, mais dans la compréhension forcément lacunaire des conséquences de tout message. Et s’il y a toujours une tendance à confondre la violence des signes avec celle des faits, c’est parce que le recouvrement de la violence des faits est un phénomène médiatique constant, qui ressort dans cette façon de faire fonctionner le langage « à l’économie ». Lorsque les mots qui servent à nous faire comprendre ce qu’il en est de la réalité, retiennent jusqu’à l’avarice la cruauté qui dort en eux, c’est la réalité qui finit par nous devenir anonyme. Informer c’est mobiliser les ressources du langage à travers le vivant, le corps. Cette mobilisation vise une attitude éloignée de la distraction mortelle de l’existence.

AVEZ-VOUS VU MON PERSONNAGE ? LE CASTING GLOBAL

L’expression de « nouveau théâtre politique » a été avancée dans différents articles (Terme utilisé par Gilles Costaz dans L’économie culturelle du 17 octobre 1994 et Politis du 2 février 1995 et par Jean-Pierre Thibaudat dans Libération du 6 février 1995) pour définir nos interventions. Elle est légitime à condition toutefois qu’elle ne s’impose pas comme une limite à la connaissance, c’est-à-dire qu’elle ne joue pas comme une catégorie qui épinglerait l’acte artistique pour en finir avec lui. En tout cas à la condition que « théâtre politique » traduise autre chose qu’un « acte de militance » qui userait d’un support attrayant pour véhiculer des messages d’ordre politique, que ce soit en référence au théâtre engagé ou encore à une forme dérivée « d’agit-prop ». Rien de plus étranger en la circonstance que l’idée d’un théâtre « exprimant » en apparence des idées politiques ou sociales.

Toutefois, partant de « ce label », chassons de là quelques fantômes que l’époque aime à raviver : l’humanisme de « l’artiste » où l’art dans la rue quand il chausse les guenilles du saltimbanque toujours prêt à réchauffer l’atmosphère d’un monde sans pitié à l’aide de quelque artifice émotionnel. Disons tout de suite que nous préférons jeter le froid plutôt qu’entretenir une ambiance tiédasse, réchauffer l’atmosphère - ou encore comme l’on dit de nos jours « faire de l’animation ». De l’activation plutôt ! L’activité artistique se doit de poser les problèmes de la vie, et certainement pas s’employer à nous les faire oublier par des pitreries à la mode.

Pour essayer de capter ce qui relève du politique, qu’il me suffise d’évoquer la position des intervenants des Périphériques et de Génération Chaos. Chacun en effet joue son propre rôle. Ce « propre » n’en appelle à aucune espèce de spontanéité où de naturel, de « subjectivité » dont la rigueur des conventions sociales blâmerait l’expression.

Plus exactement le geste politique de l’acteur relève de sa capacité de différer d’un rôle - du rôle qui fait de l’individu un rouage - auquel l’assignent des valeurs, qui ont fini par tracer tant les limites de son langage que celles de sa vie.

Il y va de la mort d’une certaine représentation fondée sur la notion de « personnage ». Sachant combien est grande l’hégémonie d’un art d’illusion validé par des critères de vrai-semblance - puisqu’il s’agit de fabriquer du faux, il faut aussi pouvoir l’authentifier - je dirais que chacun des protagonistes travaille avec les autres à « sa semblance » - c’est là du moins mon opinion. De ce point de vue, à l’identification au personnage, que l’avater des jeux de rôles [3] pousse à son comble, l’activité de l’acteur vise la différenciation au rôle, plus exactement à sortir de l’imaginaire aliéné qui en tient lieu.

L’idée de représentation présupposait que les acteurs sur la scène sont des « valants pour autre chose » et que leurs actes sont les descriptions des actes des personnages qu’ils interprètent. L’activité de « représenter » un personnage où de jouer un rôle ne tombe pas des nues. Elle se ressent des contraintes que fait peser sur les individus une société du casting qui série l’utilité humaine en fonction des besoins de production et dans laquelle l’individu vient investir un rôle qui lui préexiste, au théâtre bien évidemment, mais tout autant dans le monde du travail, en famille, à l’école. La typologie des personnages, elle, puise dans un répertoire des rôles sociaux. Ne dit-on pas du quidam à la star qu’ils ont « la gueule de l’emploi ».

Si le casting structure ainsi au plan du spectacle la reproduction des rôles sociaux, c’est qu’il réfléchit le monde de la représentation sociale [4]. Que des comédiens, ensuite, avouent avec une confiante abnégation servir l’auteur, la volonté du metteur en scène ou encore la profondeur désenfouie du texte n’est certes pas un hasard quand on songe au pathétique avec lequel les serviteurs de la France se dévouent à l’état et désignent cela à la crédulité publique comme un signe de probité.


L’acte poétique, c’est l’obligation de résultats. "La poésie doit avoir pour objectif la vérité pratique", disait Lautréamont.


Dans la représentation des interprètes ont à charge d’actualiser une œuvre. « Servir l’œuvre » est une façon d’en nier toute appropriation par l’acteur. À lui seulement d’en restituer la présence différée ou de déployer la vérité initiale qu’elle referme. À charge encore pour l’interprète « d’illustrer » cette œuvre à travers ce que Derrida critique comme « la clôture de la représentation » (in L’écriture et la différence, éd. du Seuil).

Mais cet oubli de soi ne tombe pas des nues. Si la notion de rôle prend ce sens négatif c’est que, nous ravissant aux sunlights du spectacle, elle nous révèle d’une certaine façon le sacrifice de l’humain qui s’opère par son truchement, et cela sous couvert des critères sociaux de qualification. Quand Sartre parle de ce garçon de café qui « joue au garçon de café pour réaliser sa condition », c’est pour signifier que ce garçon de café adopte les attitudes, les gestes, les inflexions de la voix qui incombent à la représentation qu’il a de son rôle. Les signes ostensibles de cette fonction qui est sienne finissent par composer cette identité de garçon de café qu’il épouse et auquel il doit coller sous peine de tomber hors de lui-même. « L’enrôlé » parlera d’ailleurs de son personnage comme d’un autre, à la scène comme à la vie : soit ce personnage social dont il impute le modèle à sa fonction - il avoue qu’il est « un rouage du système », soit ce double imaginaire comme d’une idée qui peut pénétrer la surface de son corps : cette peau du double qui forme les contours de sa sujétion et dans laquelle il doit faire transpirer un caractère.

L’ordre de difficulté que rencontre l’acteur sur la scène lui donne un avant-goût du combat à mener contre la conservation d’une vie « salariée » où chacun compte ses efforts pour en percevoir le dû, le salaire. La schize entre moi et ce personnage que l’on me demande de jouer ne trouve-t-elle pas son analogue dans l’homme coupé du produit de son travail à travers les dédoublements en série que ses rôles lui imposent ?

Rapprocher l’art de la vie est une tâche conquérante à condition de distinguer clairement le simulacre dont la vie tient lieu, et dont le théâtre se fait légitimement le reflet. Revendiquer pour l’homme qu’il fasse acte de personnalité sur scène et dans la vie, c’est là peut-être le nerf de la théâtralité politique. Par là elle diffère de la représentation théâtrale en ce qu’elle destine l’acteur à lui-même, elle le situe dans un rapport d’immanence à lui-même : il n’est plus le moyen de la représentation mais le sujet concret qui, à travers les actes qu’il produit se produit lui-même comme « auteur de ses actes » sur la scène de théâtre, mais aussi sur la scène de la vie. J’y vois là une définition de la poésie, de l’activité poétique en quelque sorte, lorsqu’elle vise « la production de soi ». En conséquence l’activité artistique ne peut éviter de poser, par les pratiques qu’elle met en œuvre, et certes pas par volontarisme, comme préalable au choix qu’elle fait de ses sujets le traitement qu’elle réserve au sujet.

Quant aux scrupules des puristes, des pinailleurs, des « artistes » qui font des moues de Sainte Nitouche devant la dénaturation de l’esprit saint qui plane au-dessus des grimoires des grands textes, ils y voient là une sorte d’opération profane dévaluant la réputation dans laquelle ils tiennent le théâtre. Tous ceux-là auxquels le mélange des genres - le transfert de fluides - font horreur, me font venir à l’esprit la façon dont la vertu des vieilles filles sent à plein nez le coït exécré.

DE L’USAGE DU CORPS

(ou les Périphériques arrivent avec des percussions dans les manifestations)

Quand le politique emprunte aux mouvements du corps, aux paroles scandées, c’est l’orthodoxie du discours que l’on insulte. C’est qu’au corps colle le scandale de la jouissance, qui enfreint les conditions du sérieux qui installent la légitimité du discours politique. Je ne fais pas seulement référence ici à une certaine aridité lexicale - la langue de bois - qui exaspère le citoyen, mais à la domination « d’un ton de bon ton » à reconnaître.

Il nous est arrivé d’en découdre avec certains personnels de « l’encadrement civique » qui, à la hâte, refoulent tout discours qui ne se range pas au conformisme, en premier lieu à ce que j’appellerai « des précautions d’énonciation ». L’irruption de percussions, de la danse dans l’acte politique introduit une sorte d’incongruité intellectuelle, qui peut surprendre.

Et l’attitude réactionnaire, qui affiche ses largesses contestataires jusque dans les rangs des « amis de la jeunesse », et que l’expérience nous a maintes fois apprise, ne tolère pas la confusion des genres. Leur méfiance compose en eux ce déni qu’ils sont morts avec leurs formules qui agitent péniblement la langue des mots d’ordre. Plus encore comment les croire quand ils écument le changement à la bouche de leurs porte-voix, puisque leurs corps disent le contraire, brimbalés lors des poussées sociales sur des relents de tubes, défilant comme momies sur des cadences molles qui emmènent la jeunesse vers les cimetières politiques.

Ce ne sont pas les foules mais ceux qui les mènent qui redoutent que l’on élève trop fort la voix, et qui préfèrent les voir se faufiler dans des espaces sociaux à angles morts où l’on distille de la musique de supermarché pour bercer des rêves de néant. « Qui sont ces gens qui s’agitent en faisant de grands gestes ? Vous ne nous ferez pas croire que c’est ainsi que l’on fait de la politique ? », comme si le geste était cette gesticulation à laquelle le corps s’abandonne, un parasite de l’élocution. Quant à moi je retiendrai du geste sa provenance latine à travers le verbe gerere qui signifie faire. La question est alors de savoir : qu’est-ce qu’ils font quand ils font des gestes ? Ne s’agit-il pas plutôt en la circonstance de se dé-faire d’une certaine manière de faire de la politique qui coince toujours dans les mêmes attitudes ?

Quand Foucault affirme du pouvoir qu’il est d’abord un pouvoir sur le corps de l’autre, il y a à interroger ce dressage des corps qui précède et annonce toujours celui des esprits. J’imagine mal une autre manière de faire de la politique que n’impulse une volonté de rompre les rangs qui nous assignent à un certain nombre de postures « normalisantes », ceci afin de donner à la pensée l’espace où elle s’exprime. L’attitude « cul de plomb », selon la formule de Nietzsche ou encore « fesses d’airain » des experts ne nous aide guère à nous relever de la pensée sise. De là l’alternative de développer « une philosophie en acte » pour des philosophes debout à l’essor de laquelle employer notre énergie. Mais ceci est un autre commencement. (Voir justement l’article Prélude à une philosophie en acte pour des philosophes debout)

[1Le film La Haine récemment a donné lieu à des critiques stériles concernant la description réaliste des « banlieues chaudes ». La question : « est-ce vrai ou non ? » pose un débat qui n’a d’autre sens que de nourrir la spéculation médiatique et de surcroît d’enfoncer la banlieue et la délinquance juvénile dans un « étant-là ». Un film comme Tueurs nés d’Oliver Stone, montre comment l’idée de « référence réalité » dont l’image serait la copie stylisée, est inepte, puisque notre perception de la réalité est déjà médiatisée par l’image (l’impossibilité par exemple de discerner entre le fait criminel et l’image médiatique qui en tient lieu).

[2« Pour moi les acteurs n’ont pas à exprimer des personnages issus d’un texte, ils ont d’abord pleinement à être eux-mêmes dans une circonstance (une histoire ou autre) à laquelle le texte engage. Il ne s’agit donc pas pour l’acteur d’interpréter sur la scène un personnage d’histoire mais de manifester un type spécifique de comportement (mode d’être et de faire) qu’il peut produire avec ce texte. En cela l’acteur se différencie profondément du comédien, lequel a toujours pour objectif d’interpréter un personnage, de tenir un rôle. » (Marc’O, Theatralité et Musique, revue L’impossible, et pourtant)

[3La mode actuelle des « jeux de rôles », après celle du saut à l’élastique, pousse à son achèvement ce phénomène d’identification au personnage selon l’idée d’un imaginaire d’évasion à l’usage de la jeunesse en quête d’émotions. Récemment un jeune homme féru de ce jeu poignardait son professeur en plein cours, parce que le personnage qu’il incarnait lui procurait un sentiment d’invulnérabilité. Ce fait divers illustre combien le phénomène d’identification soumet l’individu à des patterns qui deviennent des injonctions au meurtre. Le pire est que ces jeux de rôle fabriquent l’illusion chez ceux qui s’y adonnent qu’ils ont de l’imagination ou qu’ils développeraient la créativité.
Pour tout commentaire rappelons cette phrase de Mishima qui affirme qu’« il ne faut pas confondre réminiscence avec imagination ».

[4Les individus sont souvent recrutés pour des métiers typologisés. Par exemple les nouvelles universités style Fac Pasqua négocieront très vite des profils professionnels établis par les entreprises pour faire jouer une sélection par le fric. Il faudrait examiner comment le système casting nourrit la crise du travail.