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Numéro 5
Je suis en colère...
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Nous publions ce texte que nous avons reçu lors du mouvement social de novembre/décembre :

Je suis en colère car je n’en finis pas de voir la misère s’étendre et la précarité qui n’est pas un concept ni une fatalité gangrener le tissu social comme une gale.

Je suis en colère car je suis accablée de travail, 15 à 20 000 étudiants par poste de service social en région parisienne, un travail qui consiste à accompagner les étudiant-e-s dans un trajet social et universitaire, alors que les moyens en sont réduits de plus en plus - des aides financières dérisoires, 200 admissions par an en R.U. pour plus de 100 000 étudiants dans l’académie de Créteil... -
et que le directeur du CROUS envisage de sortir le service social de l’université... - pour l’installer dans une résidence universitaire.

Je suis en colère, car aux angoisses que je reçois dans mon bureau d’assistante sociale l’administration répond trop souvent « réglementation », « critères », « normes »,
« mérite », « bénéfices »...

Alors que : les cas sociaux envahissent l’université,
la misère des familles hypothèque les chances d’aboutir
(les « héritiers » sont ailleurs dorénavant), les étudiants mis en échec par les règles rigides des cursus, dépossédés de ce fait d’une bourse, les bacs +5 sans débouchés, contraints de rempiler, les étudiants étrangers
toujours sur la brèche d’une expulsion ou d’une interdiction de séjour, les étudiants SDF... et trop de compétences dévaluées à tous niveaux d’étude, de travail, d’inscription institutionnelle...

Alors que le service public d’éducation est bradé par pans entiers au secteur privé (sous-traitance, CROUS, Resto-U, cafets, logements universitaires, Sécurité sociale, mutuelles...), au nom de la rentabilité, qu’il est précarisé par un volant d’emploi et de main-d’œuvre sans statut (contractuels, vacataires, enseignants précaires, M.A. étrangers...) pour plus du tiers des personnels...

Je suis en colère, car le carcan du principe de réalité pédagogico-administratif tend à expulser de son champ le désir, le choix singulier,le droit à l’erreur et à l’indépendance, celui de tâtonner, d’explorer, de divaguer,
les chances de devenir sujet potentiel,citoyen-ne réel-le ancré-e dans son désir, femme, homme, étranger-e, exilé-e, (non)-bachelier-e, chômeur-se, travailleur-se candidat-e-s au droit d’asile universitaire trop souvent interdit-e-s de séjour dans une forteresse de Schengen soumise aux lois du raisonnable et du marché...

Je suis en colère d’être réduite à une fonction de gestionnaire,
gestionnaire de la misère, sans moyens suffisants,
gestionnaire des pénuries et de l’angoisse,
gestionnaire du déficit économique et idéel,
fonctionnaire de l’État « libéral » en somme,
épicentre institué de réelles contradictions et d’impossibles conciliations...

Mais je ne suis pas dupe...

Aussi suis-je en colère face au mépris et à l’arrogance des énarques, des décideurs, des politiques acquis aux raisons du capitalisme
qui engendre du « un »,
unicité,
uniformité,
conformisme,
intégrisme,
unipolarité,
résignation,
iniquité,
mais aussi
compétition,
division,
éclatement,
implosion,
qui tarit le rêve et la différence
qui se pare des atours du leurre démocratique
pour mieux construire les frontières, d’un monde sans espoir,
kidnapper l’imaginaire, la pensée, le désir,
au profit d’une jouissance étatico-capitaliste morbide dont les nantis restent les intouchables...

Aussi je suis heureuse de sortir de mon bureau de fonctionnaire, parler avec les un-e-s et les autres,
manifester dans la rue avec les salariés, les grévistes, les femmes et les exclus,
qui ne sont pas dupes du désordre mondial et local
qui condamne à la mendicité trois quarts de la planète
ainsi que le quart-monde engendré dans nos cités,
pas dupes d’une démocratie qui se prétend « civilisée » et « progressiste » et exporte dans le monde son modèle, ses leçons par la force des bombes et de l’endettement...
et sa « médiacratie ».

Je suis heureuse de vouloir être enfin et à nouveau dé/raisonnable,
tenter de convertir les misères en richesses incontrôlables,
déplacer les exclusions pour être, dire non à la dictature du raisonnable.