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Numéro 7
États du Devenir - des tas de risques retours sur le futur
Par Yves RENOUX |

J’ai fait le pari des "États du devenir", du "Cum petere" et suis allé à la rencontre plein d’espoir, car le projet sur le papier tel que le présentait la revue, sa démarche, son contexte, entrait réellement en phase avec ma quête (Je n’étais pas le seul dans ce cas...) d’un mouvement qui intègre les exigences suivantes : une contestation radicale mais constructive de la dictature des lois du marché ; une démarche de réflexion/action/résolution des problèmes qui mobilise la citoyenneté, la diversité des savoir, des expériences, dans une conception et une pratique interactives des multiples faces de la culture (plutôt que hiérarchisée, hégémonique ou distinctive) ; la créativité, du plan artistique au plan organisationnel ; enfin une possibilité de travailler à la mise en relation du "que faire ici et maintenant", en prenant en compte "le demain et partout".

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Sans hésiter, j’ai donc plongé et incité autour de moi à faire mouvement vers les États sans pour autant signer un chèque en blanc. En fait, je me suis immergé avec tous mes sens critiques en éveil ; sens que je crois aiguisés enfin je l’espère, par déjà trois décennies de « pratique de l’utopie », politique, associative et professionnelle.

Pour estimer « l’état des États », pour me piloter dans leur devenir naissant, j’ai mis à contribution le « système de navigation » bricolé sur trois scènes essentielles de mon existence : mon expérience vécue au cœur et avec cœur du mouvement de 68 ; mon engagement depuis 69 dans « la longue marche/démarche » pour l’autogestion et le sport populaire engagée par la FSGT [1] et dans ma profession (l’éducation physique) ; plus de 20 ans de fréquentation de la pratique et de la prise de risque et de son enseignement dans les activités de pleine nature (escalade, alpinisme, glisse, vol Libre...) et ce, avec tous, et pas pour une caste de pseudo surhommes.

68 : « Atmosphère ... vous avez dit atmosphère... »

J’appréhendais un peu de me faire piéger dans un ridicule rassemblement de soixante-huitards parrainés par « Nostalgie » ou à assister à un remake d’Assemblée Générale qui sombre à nouveau dans les poubelles des illusions spontanéistes. Ce ne fut pas le problème.

Par contre, j’ai effectivement retrouvé le souffle d’une posture assumée (enfin !) de l’UTOPIE. Surtout j’ai reconnu chez un grand nombre de participants le travail de deuil, de renoncement (sans reniement) quant à prétention de détenir la vérité ou la stratégie miracle. Enfin j’ai ressenti l’émergence des attitudes nouvelles certes radicales, mais dépouillées du sectarisme, du dogmatisme (qui nous enrageaient à l’époque) -, attitudes aujourd’hui tournées vers une écoute potentiellement constructive. C’était prometteur.

Les "États du risque"

La pratique et la formation à l’autonomie et à la responsabilité dans les activités sportives à risque comme l’escalade, l’alpinisme, le vol libre etc. m’ont appris : pour apprendre à maîtriser le risque il faut se risquer. Il faut s’engager personnellement que ce soit du point de vue de « l’apprenant » ou de celui qui joue le rôle de l’enseignant (s’il y en a un). Cela suppose de co-produire immédiatement un acte responsable dans lequel chacun s’engage. Car quoi de plus responsable que de mettre sa vie ou celle de l’autre dans une lucidité partagée. Et c’est là un des intérêts de ces activités que de produire un effet grossissant et contrastant sur des phénomènes essentiels qui, le plus souvent, passent inaperçus dans la vie au quotidien. Mais j’aiobservé également à l’œuvre dans la société pédagogique, dans le marché du loisir, dans les institutions et les pratiques associatives mesquines, combien règne en maître la dictature du contournement, de la de l’hypocrisie vis-à-vis de l’exigence de poser d’entrée de jeu un acte responsable de prise de risque à prendre et à partager. Ainsi ce qui écrase souvent les pratiques, c’est le « faire semblant » (combien alors il serait plus riche de s’engager dans une théâtralité vraie parce qu’assumée), le succédané plutôt qu’une existence authentique travers l’activité.

Concernant les « États du Devenir » qu’en serait-il de la prise de risque en acte pour une citoyenneté en devenir ? Allais-je encore pour une énième fois assister à la grande dérobade, à un tour de prestidigitation, ou à une pratique schizophrénique auxquels nous ont habitués nombre de mouvements et organisateurs pourtant animés des meilleures intentions progressistes et émancipatrices.

À la Roquette, du 22 au 24 novembre 96, je n’ai été ni floué ni déçu, j’ai pu reconnaître au moins quatre authentiques prises de risque qui, à mon avis, conditionnaient la crédibilité même d’une démarche vers la citoyenneté.

- Dès l’entrée dans les « États ... »
Avec le problème posé à tous et mis au centre du débat par les « Périphériques » de l’organisation avec tous les risques de cafouillage, d’angoisse, d’inconfort et de déstabilisation qu’une telle demande formulée ex abrupto pouvait générer, ainsi était posée l’exigence de participer à la prise en main immédiate du devenir du projet lui-même.

- Dans le développement des trois journées.
Je n’ai pas perçu les phénomènes de préfabrication de la démarche ni d’une organisation fondée en dernière instance sur la délégation de pensée confiée à des experts ou à une autorité suprême chargée de dire le juste (Ce qui n’a pas empêché des « experts » de contribuer pleinement)

- Dans les pratiques artistiques, corporelles et les spectacles.
Qu’il s’agisse de l’exposition photo, du film Les Temps Précaires, les saynètes de Génération Chaos et du rap avec FMR et HM69, leurs places et leurs statuts ne furent ni décoratifs ni compensatoires mais partie intégrante de la démarche. Ceci étant, je pense qu’il est possible, souhaitable et indispensable d’aller beaucoup plus profondément dans cette direction. Si le corps n’est pas en jeu, le dispositif prive de facto de droit d’entrée en citoyenneté la plus grande partie de l’humanité (celle qui n’a pas été dressée et pliée au primat de la voie symbolique d’acquisition des connaissances sur la voie matérielle).

- Dans le dispositif Musique/Danse Overflow lui-même.
Confirmant de mon point de vue l’analyse ci-dessus, avec Musique/Danse Overflow chacun est invité au risque de prendre la scène. Chacun, quel que soit son statut initial d’artiste ou de spectateur, est confronté à l’exigence supportable et émancipatrice de dépasser le dualisme spectateur/artiste pour entrer et sortir de la scène du spectacle et faire irruption sur un nouveau théâtre des opérations à éprouver : un spectacle à faire et vivre ensemble dont il sera acteur et co-auteur.

Et l’auto-organisation ?

Comment dans les États allions-nous résoudre le problème d’être ouvert à « l’émergence » sans tomber dans la « chienlit du spontanéisme » ? Comment les conditions de l’émergence seraient-elles produites et réunies ? Comment allions-nous être constructifs sans tomber dans le « préfabriqué » ? Comment les formes de travail allaient-elles coordonner deux exigences : la possibilité pour chacun de participer effectivement au cum petere » et l’exigence de synthèse, de communication et de production collective ? Comment penser collectivement sans nourrir la délégation de pensée ? Enfin quel devenir auto-produiraient les États du devenir ?


Quel lien entre le sport et la culture ?


Voilà des questions redoutables qu’il fallait affronter dans le faire, ces trois jours durant. Certes, par certains cotés, les démarches ont pu paraître naïves, mais le mérite revient à cette première initiative que ces problèmes soient reconnus, posés, actés, qu’une amorce de résolution soit engagée. Le fait même qu’un séminaire sur ces questions d’organisation ait été proposé par la suite en février est, me semble-t-il, un engagement de devenir. Personnellement c’était la première fois que dans un tel rassemblement, ces questions, ces préoccupations quant à l’organisation, à l’importance des formes à inventer étaient partagées, considérées comme un des cœurs du problème d’une démarche de changement. Si je me réfère à l’expérience modeste acquise depuis 20 ans d’ancrage persévérant dans une démarche autogestionnaire à la FSGT, pour le moment nous avions en tant qu’organisation le sentiment d’être isolés dans ce type d’expérimentation. Avec les États du Devenir et les expériences des participants il semble qu’enfin une recherche commune sur ces questions soit effectivement possible, ce qui peut ouvrir de nouvelles perspectives de coopération et d’expérimentation.

Penser la citoyenneté comme un des arts de vivre, l’art comme manifestation de résistance/existence humaine

En particulier grâce à l’apport du groupe les politiques culturelles : enjeux politiques de la culture et des expressions artistiques, auxquelles je participais, je retiens trois idées clés :

D’abord, l’importance de travailler les mots et de mettre les mots au travail. Je ne développerai pas ce point puisque c’est le concept même de « Cum petere » et des États du devenir qui le démontre le mieux.

Deuxième idée que « j’ai volée » au hasard des discussions, les États du devenir pourraient nous mettre sur la voie de la réappropriation/régénération des établissements type Maisons des Jeunes et de la Culture comme autant de « Maisons du Devenir et de la Citoyenneté », à considérer comme des lieux carrefours de l’élaboration d’une nouvelle culture de la citoyenneté.

Enfin troisième piste : les apports du groupe politiques culturelles, m’ont permis d’entr’apercevoir la potentialité d’une autre vision et nécessité de la culture, sa place dans la société de demain. En effet, une issue est à espérer et à créer dans une situation évidente marquée, d’une part, par les logiques d’industrie du spectacle et de marchandisation planétaire des produits culturels par les multinationales de la communication et autres majors, de concurrence effrénée engagée pour dominer ce marché et, d’autre part, par un contexte d’instrumentalisation par l’État et les collectivités locales des politiques culturelles pour traiter socialement les phénomènes d’exclusion. Il faut prendre la mesure du contexte critique actuel où se trouve la civilisation humaine parvenue à un stade de développement paradoxal où désormais, plus il est efficace, plus « le travail détruit le travail ». Le pire est effectivement imaginable à savoir qu’entraînée dans ce sillage de destruction du travail, une nouvelle barbarie pourrait bien détruire toute une partie de l’humanité. Mais, l’émergence d’une nouvelle conception et pratique de la culture est également envisageable. Ce ne serait pas la culture comme supplément d’âme, comme nouveau marché à conquérir, comme expression d’une identité sociale tournée vers le culte du passé, le refus de l’autre ou comme expression forcenée de la distinction. Cette « nouvelle culture » intégrant une pratique nouvelle de la culture, devrait être considérée et reconnue - y compris économiquement - comme « le travail hier » et non comme un simple passe-temps. Elle peut être reconnue sur les bases du temps libre dégagé par la productivité du travail humain, de la potentialité enfin conquise par l’humanité de dépasser le stade de la production de sa survie. Émergeraient alors, pour la majorité des hommes, et non seulement pour des élites, les conditions pour une activité de production de soi avec tous, chacun devenant aussi un acteur de la « production culturelle ». L’enjeu et l’objet de cette création/production culturelle sont d’inventer les moyens permettant la contribution de tous les hommes à la production des « arts de vivre », « arts d’exister ensemble », expression de la compétence à composer de l’unité-humanité avec de la pluralité, de la singularité. Cette nouvelle culture à faire « par tous et pour tous » s’exprimerait comme art de produire avec tous du lien humain et de l’émergence d’unité humaine à partir de la rencontre entre les différences : dans le temps (échelle historique et échelle de vie de l’individu), dans l’espace, entre les diverses formes d’expression et de sensibilités artistiques, esthétiques des groupes sociaux... Cette pratique culturelle devrait être considérée comme une activité humaine productrice et reconnue comme telle, parce que chaque acteur y co-produit simultanément par cette activité, sa dignité humaine personnelle et une part du devenir de l’humanité.

Pour ne pas rester sur une vision angélique, je conclurai sur le problème encore crucial à mes yeux pour valider un devenir à la démarche prometteuse initiée, entre autres, lors de ces trois jours : quel sera l’espace encore plus important de parole et d’action pris par les jeunes acteurs du peuple des banlieues et du quart-monde dans ce mouvement à venir ?

[1Fédération Sportive et Gymnique du Travail : "travail", parce qu’elle est issue de deux organisations sportives ouvrières créés au débout du XXème Siècle, l’une socialisante, l’autre communisante, qui se sont réunifiées en 1934 dans le contexte de lutte contre la montée du fascisme. "Gymnique" renvoie à la dimension santé des activités physiques et sportives. Aujourd’hui, le projet de la FSGT - organisation Omnisport qui fédère 230 0000 adhérents et 3800 associations -, est de rendre et de développer un sport toujours plus populaire, c’est-à-dire porteur et créateur de valeurs autour de la résponsabilité, l’autogestion, le lien et la solidarité sociale, ouvert sur le développement illimité de chacun tout au long de son exisyence.