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Numéro 8
Que fait un zapatiste en France ?
Par Javier ELORRIGA |
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Que fait une armée qui parle de paix ? Pourquoi les gens applaudissent quand un zapatiste répond qu’il ne sait pas quoi faire, qu’il n’a ni programme, ni ligne définie, ni d’idée préconçue ? Pourquoi ne croient-ils pas que cela n’est que pure démagogie et simple discours ? Parce que le zapatisme ne sépare pas le discours de la pratique. C’est précisément cela que les partis et les hommes politiques traditionnels n’arrivent pas à faire. Le zapatisme exprime la nécessité de croire en une alternative face à la certitude de la globalisation unificatrice néo-libérale.

Comment avoir confiance en quelqu’un ou même dans le peuple ? Comment être sûr que ces objectifs politiques se réalisent, mais ne soient imposés à personne ? La solution consiste à croire en l’autre et à avoir confiance dans l’être humain. Avec nos armes, nous avons simplement créé un espace pour parler et être écoutés. Ce lieu est notre don à toutes les personnes, à tous les groupes qui ne peuvent ni parler ni être écoutés, qui sont exclus d’une démocratie directe.

Dans le cadre de cette tournée en France, on nous demande souvent ce que les zapatistes en attendent, ce que nous espérons concrètement des français. On nous interroge également sur l’intérêt que peut avoir pour vous, français, le fait d’expliquer notre proposition politique, notre point de vue sur la situation du Mexique en général, et sur la manière dont se déroulent les négociations entre l’Armée Zapatiste de Libération Nationale (EZLN) et le gouvernement fédéral en particulier. Nous essayons de ne pas répondre à ce que nous souhaitons nous, mais à ce que vous souhaitez vous. Et ce « vous » ne se réfère pas exclusivement à vous les Français, avec ou sans papiers. Notre présence dans quatre municipalités chiapanèques nous donne des prétentions universelles, comme l’affirme le gouvernent ! Nous nous adressons à tous ceux qui, comme vous, espérez quelque chose du zapatisme : aux Bretons avec qui nous avons passé une fin de semaine fantastique, aux Kurdes qui ont mis à notre disposition leur télévision satellite pour que nous contions au monde la lutte zapatiste, aux Black Panthers des USA qui nous ont écrit, nous offrant des gardes du corps professionnels pour le sous-commandant Marcos, aux indiens Mapuches ou aux paysans cultivateurs de blé dans le sud de l’Argentine qui écrivent pour demander d’avoir plus de contacts, au collectif japonais qui traduit nos communiqués, aux pêcheurs de Norvège qui soutiennent les prisonniers zapatistes, aux femmes des différentes parties du monde qui demandent des informations sur la Loi Révolutionnaire des Femmes Zapatistes, et cela qu’elles soient lectrices de revues féminines ou militantes féministes, en fait à tous ceux et celles qui, sur leur propre terrain politique, social, culturel, dans leur propre vie se battent pour un monde plus juste, plus libre et plus démocratique.


Chroniques de la guerre économique
Récits de l’under-class

1 - Retour du Service Travail Obligatoire

L’implantation de l’under-class se confirme. Des nouvelles du front lues dans un quotidien français : a New-York, certaines femmes, seules et mères de familles, soupçonnées de profiter des aides sociales pour ne pas travailler, doivent maintenant faire preuve de leur bonne foi avant de toucher leur minimum de survie. L’administration les contraint de faire des heures de ménage dans le métro new-yorkais. Elles font le même nombre d’heures de travail que les employés pour une aide sociale dont le montant est deux fois inférieur au salaire équivalent. Le syndicat des agents de nettoyage a accepté ce nouvel esclavage en échange de la garantie d’un certain nombre d’emplois, et à la condition que ces femmes ne travaillent pas en même temps que les employés de façon à ne pas les indisposer. Les régimes de misère engendrent les régimes de terreur et d’exploitation... Le silence et la résignation, aussi.

(Christopher Yggdre)


Nous ne pouvons pas avoir une réponse complètement achevée. Nous pensons que c’est cela même qui plaît le plus dans le zapatisme. Il n’y a pas de réponses complètes, mais nous pouvons avancer quelques explications. Parfois, nous rencontrons une partie de la clé de l’énigme chez le poète Pablo Neruda, dans le Capitaine de ses poèmes. Ce Capitaine nous raconte qu’il ne frappe pas à la porte pour demander la permission d’entrer mais fait violemment irruption dans la vie de l’autre. Le zapatisme ouvre les portes et s’introduit, comme le Capitaine, dans les lieux qui ont perdu leurs symboles, et cela grâce à la poésie et au dialogue. Nous avons une conception du monde où chacun a besoin de l’autre pour survivre, pour être, pour exister. Derrière nous, vous êtes là, a dit Ana Maria aux milliers de personnes qui sont arrivées aux Aguascalientes zapatistes cherchant à se trouver eux-mêmes, avec le prétexte de rencontrer les zapatistes [1]. C’est peut-être pour cela que le zapatisme se débat en ne voulant pas trouver de réponses concrètes pour tous les problèmes, pour toutes les luttes, pour tous les projets. C’est peut-être pour cela aussi que le zapatisme se bat pour créer un arc-en-ciel au moment où la realpolitik insiste sur le fait que les réponses doivent être blanches ou noires, tout ou rien, pouvoir ou échec, eux ou nous. C’est aussi pour cela que le zapatisme a besoin de vous tous : pour affronter la conjoncture actuelle au Mexique, et pour que sur le chemin de la transition démocratique, les armes deviennent inutiles. Nous, les zapatistes, nous savons que nous devons peindre les couleurs de ce chemin avec des milliers de personnes. Le gris des armes zapatistes ne suffit pas pour peindre un arc-en-ciel, pour illuminer un espace où nous aurons tous la parole, un espace pour nos rêves. Jusqu’à présent, les armes des zapatistes n’ont pas été un obstacle pour construire cette grande mosaïque qui doit être le futur du Mexique. Et pourtant, elles sont un obstacle pour nous-mêmes, pour que nous les zapatistes nous puissions partager ces couleurs avec notre peuple. L’évolution est vitale et donc d’autant plus compliquée . Le zapatisme doit rompre une fois pour toutes le cercle militaire et politique pour que nous l’ayons ni la tentation, ni la nécessité d’utiliser les armes. Cette rupture ne peut être un succès pour nous et pour le pays que si elle se fait sans les armes. Nous sommes nombreux au Mexique à partager cette vision et à marcher ensemble pour la rendre possible. Le seigneur de la guerre - le gouvernement mexicain - c’est lui qui possède réellement les armes pour vivre et tuer, et qui pourrait laisser la place à quelque chose de nouveau, de plus participatif et démocratique, mais il ne l’a pas encore compris aujourd’hui. L’EZLN, les indiens zapatistes qui jamais ne furent dans l’histoire de notre pays ni écoutés, ni vus, eux ont entendu leurs peuples depuis le début du conflit et ont obéi sans hésitation. L’EZLN veut aujourd’hui marcher avec son peuple, au sens littéral et au sens physique, faisant un grand arc-en-ciel où toutes les couleurs seront représentées. C’est notre choix et notre décision. C’est précisément cela que nous pensons que vous avez compris et que nous voulons vous dire lors de ce premier contact avec la France. Nous sommes persuadés que dans les prochains mois les couleurs de l’arc-en-ciel franchiront l’océan et commenceront à s’unir à l’arc-en-ciel européen.

[1Javier Elorriaga fait référence ici à la seconde rencontre intercontinentale pour l’humanité et contre le néolibéralisme qui s’est tenue en été 1996 au Mexique en plein territoire zapatiste dans cinq lieux (Aguascalientes) tenus par les communautés indiennes zapatistes. Pour connaître l’histoire du mouvement et sa philosophie, nous renvoyons le lecteur aux deux volumes de communiqués de l’EZLN Ya Basta, publiés en français aux Éditions Dagorno (NDLR).