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Numéro 8
Commerce des dissidences
Par Christopher YGGDRE |
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Il y a maintenant six mois que nous avons reçu le texte de Javier Elorriaga, et pour nous, il n’a rien perdu de sa pertinence. Cet article était destiné à être lu lors d’un débat public à Paris au début du mois de novembre 1996. Javier Elorriaga et Elisa Benavidés, tous deux anciens prisonniers politiques et membres de l’organisation civile, le Front Zapatiste de Libération Nationale, avaient été mandatés par l’Armée Zapatiste (EZLN) pour venir rencontrer en France des groupes, des associations, des syndicats, des partis, des individus de tous milieux, les rencontrer dans l’espoir d’un dialogue, et d’échanges qui pourraient aider à rompre l’isolement dans lequel le gouvernement mexicain essaye de maintenir les indiens insurgés du Chiapas. Nous avons participé à quelques-unes de ces rencontres, c’est ainsi qu’Elisa Benavidés nous a fait parvenir ce texte pour Les Périphériques vous parlent.

Pour la première fois, dans ce numéro nous avons fait une large place à des paroles venues d’ailleurs, que ce soit Honoré Rabekoto de Madagascar ou encore Javier Elorriaga, tous deux ont été invités à participer à la Rencontre de fondation des Fora des Villages du Monde, présentée également dans ce numéro. Sans doute, de moins en moins nous pouvons envisager de combattre le néolibéralisme et ses effets sur la vie, sur notre vie, sans saisir chez l’autre, chez les autres, d’où qu’ils viennent, ce qui peut nous aider à comprendre, à agir là où nous sommes. Si aujourd’hui, la dimension de l’appel à une recherche commune pour un devenir citoyen est mondiale, ce n’est pas seulement parce que le néolibéralisme se joue des frontières et des peuples, imposant ses diktats d’une vie soumise à l’économie sur toute la planète, ce n’est pas non plus seulement parce que, de plus en plus, la résistance au néolibéralisme devient la raison d’être de nombreuses luttes dans le monde (en témoigne cette première rencontre intercontinentale pour l’humanité et contre le néolibéralisme qui s’est tenue l’été dernier à l’appel des zapatistes). Mais c’est avant tout parce que la diversité des cultures, des savoir, et des personnes constituent la richesse pour penser et inventer maintenant d’autres avenirs. Parce que, encore, cette diversité des cultures, des savoir et des personnes peut exprimer cette pensée plurielle, seule à même de s’opposer à la pensée unique.

Si la lutte zapatiste a rencontré un aussi large écho en France et ailleurs, c’est qu’elle a bousculé un monde politique raidi par l’usage de la langue de bois, et opposé au cynisme de la résignation, la nécessité de la révolte. C’est de l’espoir retrouvé, d’apprendre que des femmes et des hommes n’acceptent pas que les seules réponses aux mutations historiques qui s’opèrent devant nos yeux soient celles du repli sur soi, de l’enfermement dans des logiques à court terme, dans l’idéologie du sauve-qui-peut et du chacun pour soi. Les paysans guérilleros du Chiapas, destinés à vivre sans buts et sans moyens de subsistance à la périphérie du système, ont appelé les autres laissés-pour-compte à inventer, à chercher un autre avenir. C’est dans cette mesure, que nous voulons continuer à « commercer », dans le sens noble de l’échange, avec eux et avec d’autres expériences de résistance qui, peu à peu, créent une alternative à l’économie de marché qui n’a d’autre fonction que d’assurer l’hégémonie des marchés financiers. Cela dit, cela ne va pas de soi de prétendre à ce commerce des dissidences. La relation avec les zapatistes n’échappe pas aux effets de mode, à la fascination pour l’exotique d’une lutte pas comme les autres, à la compassion pour les déshérités, à des rapports de solidarité formelle et, au final, il ne reste rien de bien significatif qui puisse modifier réellement les expériences et les réflexions de chacun.