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Numéro 11
Poïésis et tekhnè
Par Yovan GILLES |
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Un des sens que les Grecs donnaient au travail est poiesis, qui a donné son nom à la poésie. Elle désigne le travail de l’artisan et de l’artiste. La poiesis est l’activité libre de l’être humain qui n’est pas subordonnée aux contraintes de la subsistance, elle est création. À son tour, le mot tekne nomme tout à la fois l’art du poète et celui de l’artisan. La tekne n’est pas la technologie pour produire un objet ou un bien. Ce n’est pas un “faire” duquel on peut retrancher un “être” comme lorsque l’on dit du corps qu’il incorpore des techniques ou que la maîtrise des techniques est le préalable à qui veut créer. Autrement dit, la tekne n’en réfère pas seulement à la compétence pour fabriquer un objet ou une œuvre.

Dès lors que l’on parle d’art, au sens de tekne, il faut considérer la créativité - qui se rapporte à la pratique, à l’activité, aux usages - et la création qui, elle, constate l’existence de l’objet artistique. Il est de coutume de qualifier une production (artistique, scientifique ou autre) de création. Mais ce qui distingue la création comme objet ludique, marchand ou non, se démarque nettement de la créativité comme processus qui produit l’objet. Paul Valéry suggérait d’appeler poïétique une science à venir des processus de création. Pourquoi donner un caractère scientifique à ce qui semble provenir d’un domaine que l’on croyait fermé à l’investigation au point de parler “d’inspiration” pour expliquer une chose par défaut d’autre chose ? La créativité ne fraye pas la voix des muses, elle n’est pas une qualité dévolue aux “artistes”, elle n’est pas l’innocence de l’enfance affolée par la corruption de l’adulte. Elle indique les moyens mis en œuvre par des individus et des groupes quand ils essaient de faire comprendre la manière dont ils s’y prennent pour produire un objet qui leur ressemble ; mais aussi quand ils tendent vers cet objet un regard capable de le considérer pour ce qu’il est et qui le rende estimable à la communauté des voyants auxquels il est adressé.