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Numéro 3
Des mesures Balladur pour la jeunesse, à la précarisation
Par Les Périphériques vous parlent | Paru le mars 1995

Pour un grand nombre de politiques et de responsables de tout bord, le sacrifice obligé des nouvelles générations s’impose de fait comme la seule solution possible pour conjurer les effets de la crise. L’idée même du devenir renvoyant au futur, donc aux seules prévisions, les responsables gouvernementaux ou autres se sentent tout à fait autorisés à préscrire des dispositions apparemment « bienveillantes » pour essayer de contenir la masse croissante des précarisés de 15/28 ans dans des limites propres à éviter une « explosion irrémédiable ». Ainsi, pour nous, « le questionnaire Balladur » pour la jeunesse n’a-t-il représenté qu’une de ces tentatives étatiques pour canaliser « les jeunes de nature » vers les futurs espaces clos de la sous-vie. Et à la suite, dans la même perspective, les propositions du « comité des sages » implicitement explicitement se sont-elles efforcées à faire entendre que la jeunesse (toujours de nature) était, sans doute, disposée à payer le tribut le plus dur au conservatisme social et culturel, sacrifiant par là son devenir. Le 10 octobre, à la suite de la publication des mesures préconisées par le « comité des sages », nous (« des jeunes se voulant de culture »), avons réagi avec un article dans lequel nous nous opposions farouchement à ces propositions tombées du ciel de la sagesse. Cet article a été à la base de notre démarche pour des « États du Devenir faits par tous et pour tous » Nous avons pensé qu’il avait toute sa place dans le cadre de ce numéro d’urgence sur les États du Devenir.

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Le journal Libération du 4 octobre 1994 titrait : « 57 remèdes pour soigner les jeunes », à propos des propositions faites par « le comité des sages » à la suite des réponses au « questionnaire Balladur ». Ce titre éclaire parfaitement les arrière-pensées de ce questionnaire.

À la suite des manifestations contre le CIP, le gouvernement a fini par proposer « son » questionnaire qui, disait-il, visait à engager le dialogue avec les jeunes. Dès sa parution, les responsables l’assortirent de ce slogan jugé sans doute très médiatique : « répondez à nos questions et nous ferons le reste ». Curieuse déduction face à des manifestations qui n’avaient cessé implicitement de revendiquer le droit à l’expression.

Cette prescription : bornez-vous à répondre et l’on s’occupera de vous, évoque parfaitement ce que des psychologues appellent « l’injonction paradoxale ». On a mis là en jeu une procédure inacceptable dans la mesure où répondre va signifier que « le reste qui s’ensuit », ce sont les mesures gouvernementales, mesures qui vont bien sûr s’afficher comme une réponse positive au malaise de la « jeunesse ». Ce questionnaire se révèle un piège redoutable, « une double contrainte », en fait, qui rend impossible la libre expression de celui à qui l’on s’adresse. En effet si le jeune ne répond pas, il se verra alors accusé de se désintéresser de son sort, à l’inverse s’il répond, il se soumettra, inévitablement aux mesures qui seront décidées par le gouvernement. Nous avons bien là « l’injonction paradoxale » qui, quelle que soit la réponse donnée, conduit à la subordination de celui auquel on demande de répondre, comme l’illustre parfaitement cet exemple typique du père qui dit à son fils : « désobéis-moi ! », ordre évidemment impossible à exécuter puisque si l’enfant désobéit, il obéit quand même à son père et s’il obéit, en désobéissant, il obéira encore à son père. « L’injonction paradoxale » se présente ainsi sous la forme d’un ordre qui contient en lui-même une contradiction telle que celui à qui il s’adresse n’a aucun moyen d’y répondre d’une manière satisfaisante.

La nature paradoxale du questionnaire Balladur est tout à fait dévoilée à travers le titre de Libération : « 57 REMÈDES POUR SOIGNER LES JEUNES ».

Sommairement, mais très explicitement, ce titre affirme que « les jeunes sont malades » et que le gouvernement par conséquent va les soigner. Et les responsables pourront de plus renchérir : « ce n’est pas nous qui le disons c’est le comité des sages qui l’atteste. » Un comité des sages choisi par le gouvernement, bien sûr, mais cela on évite de le rappeler. Bref, il ne reste plus, maintenant, à monsieur Balladur et à ses ministres qu’à proposer le remède, et aux « jeunes » à avaler la potion. Le piège de « la double contrainte » a parfaitement fonctionné.

Qu’il y ait d’un côté des soignants, des médecins et de l’autre, des malades qui demandent à être soignés, nous n’en disconviendrons pas, et bien-entendu, on voit mal les malades discuter sur le remède, serait-il « de cheval », que leur prescrit le médecin. Le médecin, d’ailleurs, a toute autorité pour cela. On lui fait confiance, ou pas, et l’on peut d’ailleurs toujours en changer, ou encore, ne pas le consulter. Mais que l’on nous permette de douter sérieusement des capacités de la classe politique actuelle (majorité ou opposition) et des autorités de tutelle qui en dépendent à apporter quelque remède soit-il aux difficultés de toutes sortes qui s’abattent aujourd’hui sur les jeunes. Nous ne pouvons nous empêcher de penser que, tout de même, ce sont eux qui nous ont menés là où nous en sommes, certainement pas la classe d’âge dite des jeunes.

En fait, c’est la société qui est malade (on dit : en crise), cette société que les politiques, les responsables de tout ordre, de tout bord, ont faite ou laissée faire. À notre humble avis, si maladie il y a, ce sont les politiques, en place au gouvernement ou dans l’opposition, qui sont malades ; ce sont eux, par conséquent qui devraient se faire soigner. Ce qui nous paraît évident, en la circonstance, c’est que, rien, ni dans leur parcours, ni dans leur comportement de politique, de gestionnaire économique, social ou culturel, ne justifie leur prétention à apporter quelque remède soit-il aux difficultés qui affligent « les jeunes ».

Face à un dialogue impossible, n’entretenant que l’inertie, dialogue dans lequel les dés sont pipés, où tout est joué d’avance pour le seul intérêt de ceux qui sont en place, nous opposerons un dialogue ouvert où la position des partenaires sera claire, où « les sages », si sages il doit y avoir, seront choisis par les deux parties.

Mais pour engager ce type de dialogue, il faut commencer par circonscrire le cadre dans lequel les vraies questions se posent, les questions qui font problème, à nous, à la jeunesse, au devenir ; par sortir donc du cadre où les sages et le gouvernement ont toute latitude pour imposer leur logique. Dans ce cadre qui fait autorité (« cadre d’autorité ») une véritable procédure de recouvrement de la réalité bloque sans cesse toute solution qui n’appartient pas aux intérêts des « pouvoirs en place ».

Cette réalité tragique qui ne cesse d’investir tous les champs de l’activité humaine, c’est l’exclusion. L’exclusion à son tour, peu à peu, installe un système de « PRÉCARISATION » qui aboutit à la création d’une sous-classe : L’UNDER CLASS.

L’exclusion caractérise notre temps. Explicitement ou implicitement, partout, des procédures se mettent en place qui régulent l’exclusion, rejetant dans la misère (sous un seuil de pauvreté) tous ceux qui n’ont plus ou ne trouvent plus leur place dans le circuit productif. Bien sûr, on devrait plutôt parler d’exclusion au pluriel tant les formes qu’elle prend sont différentes selon qu’il s’agisse du monde du travail, du social, du culturel, de la formation. Le phénomène d’exclusion débouche de fait sur l’installation d’une sous-classe baptisée, aux USA, Under Class.

Des analyses, des statistiques, chaque jour, nous révèlent que cette Under Class est en train de prendre pied en Europe. À simple titre indicatif, en voici quelques-unes, elles ne sont malheureusement pas limitatives.

- Le 16 juillet, une enquête du ministère britannique des Affaires Sociales révèle qu’un enfant sur trois est sous le seuil de pauvreté en Grande-Bretagne. Quatorze millions de ménages subsistent avec moins de 900 francs par semaine. (Libération, 17 juillet 1994).

- Une étude de l’INSEE prévoit que le taux de chômage risque d’atteindre les 60 ou 80 % de la population en 2010, si aucun « remède » n’est apporté à la situation actuelle.

- La plupart des économistes, de même récemment le CJD, répètent que quelle que soit la croissance, elle ne produira pas d’emplois.

Les conséquences sont claires : le circuit productif aura de moins en moins besoin de personnels. Sans cesse en nombre plus limité, les gens utiles au système productif vont engendrer de plus en plus de gens inutiles : la machine de l’exclusion risque de s’emballer.

Chaque jour, des dispositions, des mesures sont prises qui révèlent que la précarisation confirme dramatiquement l’installation de l’Under Class. Citons entre autres :

- Présentation de plans consistant à multiplier la création de sous-emplois (des emplois précaires à durée déterminée, sans grand avenir), ce que l’on appelle « les petits boulots ». Des emplois serviles aussi, (voir les aménagements fiscaux destinés à faciliter la création d’emplois de « proximité » ou emplois « familiaux », euphémismes pour parler d’emplois « domestiques »). Ces périphrases « cache-chômage » rappellent ces recommandations pieuses qui demandaient aux privilégiés honteux, s’ils voulaient « apaiser leurs scrupules », de ne plus appeler leurs servantes des « bonnes » mais de les classer dans la catégorie des « gens de maison », ou dans le monde du spectacle de remplacer les termes de « figurants » ou d’« utilités » par le mot pompeux d’« acteur de complément ». À défaut de traiter les faits, on va s’occuper des mots.

- Les mesures économiques prises à l’encontre de la recherche à long terme (réductions budgétaires au CNRS). Cette décision est grave, elle programme de fait l’abandon même du devenir du pays (ses perspectives d’avenir). Le pire, en la circonstance, étant l’indifférence quasi générale de l’opinion. C’est pourtant le sort de chacun qui se joue là à terme.

- L’exhortation de l’idéal « humanitaire » dégénère en une politique d’assistance généralisée. Par exemple, à travers la création de « centres modèles d’accueil », style « Armée du Salut » pour recevoir les SDF. Nous faisons ici état de la journée « médiatique » que Simone Veil a passé en octobre 94 dans un centre de l’Armée du Salut, pour faire savoir que le gouvernement se préoccupait de mettre en place partout de tels dispositifs d’accueil. En fait, ces centres préfigurent les futures casernes pour accueillir (il faudrait dire « surveiller ») les armées de pauvres issues de l’exclusion.

- Sur le même plan, la création de samus sociaux préfigure un service de santé à deux vitesses, un pour ceux qui auront encore un emploi, l’autre, que l’on pourrait qualifier de « service de charité », animé par des médecins payés au SMIC, assistés d’associations bénévoles caritatives.

- La banalisation, dans les banlieues et les quartiers pauvres des villes, des « écoles à problèmes », des LEP et autres centres dits d’apprentissage. Laissés le plus souvent sans moyens, sans perspectives, ils se transforment de plus en plus en centres de fixation d’une masse juvénile dangereuse. Une manière de retenir dans des espaces contrôlés des adolescents autrement livrés à la rue, donc dangereux.

- Les universités elles-mêmes se divisent progressivement en deux groupes : les facs périphériques (on n’hésite pas à les qualifier de « facs poubelles ») et les facs d’élite (les universités nouvelles de Cergy, d’Evry, ou encore Dauphine et la future « Fac Pasqua » à côté de Nanterre). Le CIP avec sa proposition d’un premier emploi (pour des « bacs + 2 ») offrant un salaire à 80 % du SMIC a bien semblé être une tentative de « rationaliser » la création de filières d’embauche conduisant droit à l’Under Class. Le rejet du CIP n’empêche cependant nullement, au coup par coup, la poursuite de la précarisation d’une grande partie des nouvelles générations.

Par ailleurs le sondage (IFOP) qui indique que 71 % des français pensent que « le diplôme » ne suffit plus pour obtenir un emploi, démontre bien que personne ne se fait guère d’illusions sur la « qualité » des études universitaires. L’université est en crise, une crise sans doute bien plus grave que l’on veut bien le croire. Grave, d’abord pour les étudiants, et bien sûr pour les professeurs.

Avec la précarisation, le destin même de la jeunesse, du devenir se joue...

Et l’on nous joue quoi ? L’air du dialogue. Un dialogue qui n’est en fait que le recouvrement d’une situation. Une manière de faire avaler la pilule aux générations nouvelles et à toutes les victimes de l’exclusion. Si le gouvernement dit vouloir dialoguer avec les jeunes, demandons-nous sous quel mode ? Et pourquoi ?

Le 16 novembre 1994, plus d’un mois après les propositions faites par « le comité des sages », le gouvernement fait connaître les 29 mesures « pro jeunes » (nous mettons bien « pro jeunes » entre guillemets, et plutôt deux fois qu’une). Bien sûr, personne n’est dupe, les élections présidentielles sont proches. Le problème n’est pas tant de souligner la futilité du plus grand nombre des mesures prises : « Abaisser à 18 ans l’éligibilité aux élections régionales et cantonales et l’âge de l’éligibilité comme maire », « Rendre obligatoire un Conseil communal de la jeunesse », « Engager une campagne d’information pour les inscriptions sur les listes électorales », etc. Pourquoi pas ? Comme l’exprime très bien cette réponse « normande » d’un lycéen à la télé : « Si ça ne fait pas grand bien, ça ne peut pas faire grand mal. » Nos craintes sont ailleurs. En premier lieu, nous ne pouvons pas nous empêcher de nous demander : les mesures, qualifiées de « gadgets » par l’opposition, ne seraient-elles pas destinées à « recouvrir » certains mécanismes tendant à organiser rationnellement la précarisation ?

Par exemple, la mesure qui concerne « le service national sous une forme civile », ne va-t-elle pas servir à renforcer les services sociaux et le « gardiennage soft » des zones pauvres ? Avec ce service national, l’État va disposer de ressources humaines très bon marché. Les personnels des services sociaux, des soins, de l’enseignement risquent de faire les frais d’une telle politique d’assistance « au rabais ».

« Une infirmière dans chaque établissement scolaire de plus de 500 élèves » remédie, peut-être, à une déficience honteuse. Mais avec la politique actuelle de restriction du personnel soignant (en particulier les infirmiers) n’est-ce pas inciter à utiliser des sous-qualifiés (sous-payés, ou plutôt pas payés du tout : ils font leur service national !) pour assurer ce type de service ? Que dans le même élan on les baptise à la suite d’infirmière ou d’infirmier ne nous étonnerait guère. La politique de « mise au pas des futurs pauvres » n’en demande pas plus.

Le comble, pour nous, ce sont les deux dernières mesures qui ne feront malheureusement pas, nous le craignons, de grosses vagues. Il s’agit, d’une part, de « la création de maisons des jeunes et de la santé », et d’autre part, de « la création d’un centre national de projets des jeunes et d’un centre de la création artistique des jeunes ».

« Maisons des jeunes et de la santé. » Nous retrouvons bien là le titre de Libération : « 7 remèdes pour soigner les jeunes ». « Maison des jeunes et de la santé » ? Qu’est-ce que cette formule cache, recouvre ? Sinon que la jeunesse est malade et qu’on va la soigner. Mais nous ne voulons pas, mais pas du tout de ces soins. Nous sommes même prêts à engager un combat sans merci s’ils insistent. C’est là une proposition scandaleuse qui n’appelle que le mépris et qui disqualifie ceux qui la font.

« Centre national de projets des jeunes. » Le premier volet de cette mesure révèle le désir sournois d’une coupure de la société en deux catégories, celui de bien marquer la différence entre jeune et adulte. Par là, la jeunesse n’est qu’un moment de la vie, le temps de devenir adulte. Une manière de dire aux 15/25 ans : « On va vous aider à patienter, attendez donc d’être mûrs pour des projets sérieux. » Evidemment, « projets », « jeunes », ça ne fait pas trop sérieux, et les financements qui les soutiendront, voire l’effort budgétaire engagé, n’auront guère plus d’envergure. Cette mesure est sans conteste complètement démagogique. Elle ne servira qu’à récompenser quelques « fistons » bien pensants, en faisant croire aux autres que l’on s’occupe des jeunes.

« Un Centre de la création artistique des jeunes. » Cette mesure en dit long à la fois sur la désinvolture, l’arrogance, et la prétention de ses auteurs. Sachez gouvernants !, responsables de ce pays qui ignorez votre propre histoire, il n’y a pas d’art, de poésie, de culture jeune. Il y a l’art, la poésie, la culture tout court. Mozart, Rimbaud, Lautréamont, Giacometti et tant, tant d’autres, ont fait la poésie, la musique, la culture tout court, à un âge où ils n’avaient même pas le droit de voter. « La poésie doit être faite par tous et pour tous », affirmait Lautréamont, l’art aussi, bien sûr, c’est ça la culture, enfin l’idée que nous nous en faisons, une position que nous défendrons de toutes nos forces. Pour nous, encore, le rap, les tags, le rock, le hard-core ne sont pas les expressions d’une « sub-culture » - une culture de deuxième ordre - mais de l’art, de la musique tout court, au même titre que la musique classique et contemporaine. C’est sur cette ligne que des réformes doivent être engagées. Ces expressions demandent à être soutenues autant et sur le même plan que le sont les formes d’expression reconnues par les Conservatoires de Musique ou les Académies des Beaux-Arts ou des Belles-Lettres. C’est sur cette ligne que se situe la revendication jeune.

Résumons, aucun dialogue réel ne sera possible, tant qu’il se bornera à n’être qu’une injonction paradoxale qui brisera tout élan portant des objectifs propres à la jeunesse. Mais encore faudra-t-il qu’elle se définisse, cette jeunesse, qu’elle se donne un projet. C’est ce que se proposent les signataires de ce texte. Non, nous ne refusons pas le dialogue, nous voulons simplement qu’il soit ouvert et non pas « encagé » dans des conjonctures qui n’appartiennent qu’à ceux qui n’ont rien d’autre à défendre que leurs privilèges.

Aussi, nous adressons-nous, d’abord, aux « jeunes » eux- mêmes, en leur demandant de faire de « la jeunesse » une force, une force capable de proposer son projet, de le mener, de le réaliser. Pour parler avec toute « autorité », quelle qu’elle soit, avec les responsables au plan politique, économique, social ou culturel, il nous faut devenir cette force. Une force en mouvement capable de s’imposer dans un dialogue où chaque partie aura les mêmes droits et moyens de se faire entendre.

Dans un premier temps, il va falloir nous chercher, dire en l’occurrence quelle jeunesse nous sommes ou voulons être et quel est notre projet.

Si l’on examine d’un peu plus près la question de la jeunesse, l’on s’apercevra vite qu’elle n’a guère de réalité si ce n’est comme masse de manœuvre pour « servir » toutes sortes d’idéologies, souvent les pires (se rappeler la jeunesse hitlérienne) : chair à canon pour toutes les guerres, ou masse de manœuvre destinée à des projets qui lui sont rarement propres.

Cette « jeunesse à tout asservie » comme l’appelle Rimbaud, c’est à travers la classe d’âge des 15/28 ans (plus ou moins) que l’on a toujours cherché à la saisir. Cette définition qui va de soi - disons « de nature » - revient à percevoir la jeunesse comme un laps de temps, un simple passage, qui mène de l’adolescence à l’âge adulte. Ne dit-on pas : « il faut que jeunesse se passe ! ». En rester à cette idée restrictive de la jeunesse, c’est lui donner bien peu de chance de se réaliser, de devenir une force, d’être un espoir, d’engendrer un avenir.

Aussi avancerons-nous que la jeunesse, il nous faudra la chercher ailleurs et autrement. Il faudra lui donner « consistance » en l’inventant, en dehors des critères d’âge. L’image médiocre qui se dégage de la jeunesse perçue « de nature » nous conduit à lui opposer une jeunesse qui s’inventerait « de culture », une jeunesse à faire, donc. Nous proposons le terme culture pour la désigner, parce que ce terme, pour nous, n’exprime pas seulement le « déjà-là », « ce qui est donné », mais bien plus : ce qui est à faire, à inventer au jour le jour. La culture est l’Histoire même en mouvement, celle que les hommes font, pas celle que quelques uns écrivent.

Dans le N° 2, « OBJECTIF JEUNESSE » nous avons creusé cette idée d’une « jeunesse de culture », jeunesse à inventer, à faire par les protagonistes eux-mêmes, tous ceux, en fait, qui considèrent que leur jeunesse est devant eux, tous ceux pour qui leur devenir représente un but de vie : en somme, tout citoyen qui voudrait se donner un présent qui ait un avenir. Nous dirons, chaque âge a sa jeunesse et c’est cette jeunesse que chacun a à vivre qu’il s’agit de rendre possible.

À travers une argumentation essayant de concevoir quel pourrait bien être le comportement d’une jeunesse perçue de culture, d’une jeunesse qui s’impliquerait dans un monde en crise, pour chercher, « inventer » son devenir, nous avons dégagé un certain nombre de propositions.

Notre propos n’a jamais été de chercher quelle idéologie pourrait bien nous soutenir, mais bien plus concrètement, de nous demander : comment « faire mouvement », c’est-à-dire comment conjuguer nos efforts pour devenir une force qui se donne un avenir, certainement pas une union d’adeptes défendant leurs privilèges.

NOUS SOMMES EN MARCHE !