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Numéro 1
Vermines & Lycées
Par C. C. fréquente le Lycée Voltaire, à Paris | Paru le février 1994
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Toute une frange de la population est exclue du monde et de son mouvement ; indésirables, inutiles, méprisés, à charge de l’État et des parents : ce sont les lycéens.

L’un de ces réprouvés prend la parole.

Je préviens le lecteur peu averti qu’il est inutile de lire ce qui s’ensuit s’il contamine sa lecture par la considération : « Ah ! Ce n’est qu’un lycéen... ». Personne ne peut vider personne de sa personnalité, de sa différence, de ses innombrables signes distinctifs au nom du seul statut social.

Mon adolescence, à être en contact avec les réalités hostiles de nos lycées, risque de devenir le temps de toutes les résignations et lâchetés.

Le lycée me refuse la vie, pire, il me supprime mon devenir. Il entretient l’ennui, la paresse, l’indolente indifférence.

Le lycée m’humilie quotidiennement, j’attends une demi-heure ou plus pour manger, bousculé par un troupeau de pourceaux braillards. Je préfère partir ; je n’ai rien contre eux : le lycée infantilise et abrutit.

Le lycée est une concentration de cervelles rendues molles, dont on ne saura quoi faire dans quelques années.

Le lycée me juge selon des normes qui définissent le meilleur de ma personne, comme ma disponibilité à me plier à des directives et à un programme.

Le lycée m’apprend à me soumettre, à subir sans comprendre, il continue envers et contre tout à être le lieu d’apprentissage de la discipline et de l’obéissance.

Le lycée brise le mouvement, étrangle l’initiative, étouffe la personnalité, assassine la soif de connaissance, d’inconnu, sacrifie la jeunesse.

Le lycée piétine la culture, il en fait une bouillie immonde ; comment apprécier ce qui m’est enseigné si je suis pieds et poings lié aux tyrannies, suffisances, et caprices d’un professeur ? « Monsieur X, vous reviendrez à mon cours quand vous serez en possession du petit cahier à petits carreaux.

Le lycée me noie sous l’amas des obligations et devoirs. Il me fait perdre mon temps et ma tête.

Le lycée m’impose pour une année un morcellement fixe et immuable de mon temps, si je ne m’y plie pas, je m’attire le harcèlement plus ou moins complaisant des administrations, des professeurs et parents qui m’invitent à regagner les rangs. Si seulement ils pouvaient s’empêcher de se justifier en expliquant qu’il faut savoir dépasser les contraintes, que je ne peux faire autrement que m’installer dans la routine et la médiocrité de l’organisation dont ils sont eux-mêmes victimes. Ils l’avouent, « Nous ne pouvons pas faire autrement ; »

Le lycée dispose de mon temps, de ma liberté ; étroitement surveillé, tout est fait pour m’éviter de prendre des décisions, d’agir. Le lycée emploie des surveillants, encore e toujours.

Une famille hantée par l’angoisse du lendemain : « Fiston ou fifille se retrouvera sans job, sans sécurité sociale, sans retraite.. ; », met en esclavage leur progéniture à la nécessité du bac. Le bac ? Qu’est-ce qu’il nous permet ? De prolonger l’attente dans les établissements supérieurs où il ne m’est laissé pour seule consolation qu’un semblant d’autonomie.

Il me reste l’exutoire, l’hystérie du samedi soir, l’illusion d’un peu de temps à moi, je peux y dépenser l’argent de poche gratté à papa et à maman ou difficilement gagné à faire le tâcheron dans un quelconque fast-food. Du temps pour délirer, pour s’éclater, oublier : quelques heures de délivrance dans la semaine. Le dimanche est amer, il est à mère.

Je veux prendre la parole ; on me démolit : « Tape-toi tout ce que tes glorieux aînés se sont tapés et tu pourras, alors, peut-être, t’exprimer ; »

Le lycée a fait de moi une vermine mais...

Parents, professeurs je ne veux pas de votre compassion mais votre écoute, je dois être entendu.

Terminée l’époque héroïque du professeur seul maître à bord : le lycéen a droit de parole et de décision.

Lycéens, nous devons nous emparer des lieux où nous avons été entassés pour y créer de la vie, du mouvement, de l’activité. Nous n’avons pas à nous soumettre au lycée, nous devons soumettre le lycée à nos ambitions et désirs.

Déserter et fuir serait notre désaveu et notre défaite.

Nous devons relever les défis de l’époque, lutter contre l’aboulie, l’ennui, le rapport mortifère à la culture. Nous n’avons pas été émargés de la vie, nous devons l’inventer.