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Numéro 1
Cinq textes d’élèves du Lycée La Saussaye de Chartres
Paru le février 1994

"Les périphériques vous parlent" et Génération Chaos Musique ont présenté leur activité au lycée agricole de Chartres "La Saussaye" ; y étaient présents, des élèves de Terminale D’, de BTS A.C.S.E. (conduite et gestion d’exploitation agricole), BTS I.A.A. (Industrie agro-alimentaire), des professeurs et des journalistes.
À la suite de cette rencontre :

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L’Écho Républicain 17.11.93
« De l’avis même de Christine Chaufour-Verheyen, professeur (...) au lycée agricole de la Saussaye, ses élèves ont suivi mardi 16 novembre leur meilleur cours. Et pour cause. Pour parler à 220 lycéens de l’évolution de l’homme face à l’instabilité d’un monde en crise, le Laboratoire de Changement était sur la scène de l’amphithéâtre. »

La République du centre 18.11.93
« ...200 étudiants debout comme pour accompagner les mouvements du chœur qui mêlé à eux dans les gradins, jouait le même rôle que celui de la tragédie de la Grèce antique. »

L’Écho Républicain 18.11.93
« (...) les lycéens ont poursuivi le dialogue toute la soirée. Toutes les sections ont discuté librement de leur façon de voir la crise. Et c’est cela le vrai succès de la journée : ouvrir le débat dans un lycée qui ne demandait que cela. »

Horizons Eure et Loir 20.11.93
« L’abandon du "vieux monde" pour les futurs agriculteurs et le monde d’incertitudes devant lequel ils se trouvent expliquent sans doute leur intérêt. »


Nous ne voulons plus être catalogués. Qu’on arrête de nous étiqueter ! Nous sommes dans des classes différentes certes, mais nous sommes surtout une réunion de personnes toutes différentes.


Nous sommes en 2ème année de BTS industrie agro-alimentaire, le rythme de nos études nous laisse peu de moments à nous pour réfléchir et agir. Trop souvent, les programmes sont abstraits, comme étrangers ou décalés du monde du travail qui nous attend...

Dans quinze jours, nous devons partir effectuer un stage de trois mois dans une entreprise. Et brutalement, nous avons été confrontés, de manière très personnelle, à la crise : les entreprises refusent nos offres, alors que nous sommes là pour les aider, pour résoudre leurs problèmes. On voit bien que l’on se moque de nous. On nous envoie des réponses négatives toutes faites avec pour objet « demande d’embauche » ! Alors qu’il n’y a évidemment aucun rapport. On nous reproche sans cesse de ne pas prendre d’initiatives, de décisions, mais personne ne nous laisse la chance de nous exprimer ! Nous avons plein d’idées, mais eux ne veulent pas de nous. Nous n’arrêtons pas de téléphoner aux entreprises d’agro-alimentaire de toute la France, cela nous coûte une fortune. Parfois, nous n’avons pas encore eu le patron que notre carte téléphonique est épuisée. On nous fait faire des centaines de kilomètres pour aller à un rendez-vous et une fois arrivé on nous dit qu’il y a des changements de structure dans l’entreprise qui font qu’on ne peut plus nous prendre. Quand nous téléphonons aux entreprises, nous avons une secrétaire qui, souvent, nous dit que le patron n’est pas là, et lorsque nous discutons un peu avec elle, nous apprenons que, de toute façon, ils ne prennent que les fils des patrons. Les dés sont pipés.

Nous avons l’impression d’être pris pour des pantins, nous en rions entre nous, mais c’est dur...


Nous sommes une classe de BTS industrie agro-alimentaire 1ère année, nous espérons avoir notre diplôme en deux ans. Nous avons choisi ce BTS un peu comme ça, sans trop savoir, ou alors par goût du para-agricole. Et aussi parce que nous pensons que ce secteur est moins touché par la crise : quoiqu’il arrive l’homme aura toujours faim. Nous sommes sensibles à la crise comme à l’envers : l’école est un lieu sécurisant qui nous permet de tourner le dos au chômage.

C’est au niveau de notre vie de tous les jours que nous prenons conscience de la crise dans laquelle nous sombrons. Le week-end, nous la vivons par l’intermédiaire des médias, par leurs reportages sur les guerres civiles, sur les affaires qui mettent en cause le crédit du monde politique, et nous en passons, et des meilleures. Mais c’est aussi à travers notre famille, cellule de base de notre société, partageant leurs angoisses et leurs peines ; et enfin, c’est aussi à cause des individus que l’on croise, absents derrière leur aspect glauque. La semaine, c’est ici, dans notre lycée, véritable représentation de la société à l’échelle réduite, où la communication et la compréhension sont difficiles.

Nous sommes programmés à exécuter sans broncher, avec toujours l’angoisse du lendemain.

Nous nous sommes dit qu’il ne suffisait pas de parler de la crise, mais qu’il fallait agir. Mais personne ne nous l’apprend.

Si on se levait tous pour s’imposer, ils seraient bien forcés de nous entendre. Mais comment faire pour prendre la parole ? N’est-on pas en train de faire quelque chose qui est au-dessus de nos forces ? Il faut que les journalistes nous donnent la parole. Enfin, en tout cas, nous sommes tous d’accord pour dire que ce n’est pas en ne faisant rien que l’on avancera.

Parce que nous dépendons de l’agriculture nous donnons la parole au BTS A.C.S.E. (conduite et gestion d’exploitation agricole), 1ère année.


Nous sommes pour la plupart fils d’exploitants. Nous poursuivons nos études dans le but de le devenir. Mais nous sommes loin d’être sûrs de pouvoir reprendre l’exploitation, et encore moins de la léguer à nos enfants.

Nous aimons notre métier ! Et ce métier que nous aimons, nous ne sommes pas certains que vous le connaissiez bien, parce que nous n’avons jamais pu en parler ensemble et ce que vous savez de nous à travers les médias n’est qu’une vision mensongère. Ce que vous apprenez des médias n’est pas ce que nous vivons. La crise, pour nous, c’est la non-reconnaissance de notre métier, de notre avenir. C’est la mise en jachère de nos terres. Nous devenons des « chasseurs de primes »*. Et quelle absurdité que de nous empêcher de produire, alors que des gens meurent de faim. On peut imaginer que l’on nous laissera mourir de faim devant nos jachères ! Nous pensons qu’il ne faut pas baisser les bras, mais au contraire qu’il faut espérer, agir. Nous sommes tous prêts à nous mobiliser, à manifester. Mais on nous en empêche. On nous bâillonne. Parce que dans l’histoire chaque fois que les paysans se sont soulevés, c’était le signe d’un changement radical de société. C’est pour ça qu’ils ne veulent pas nous laisser la parole. Ils essaient, donc, de nous étouffer plutôt que de chercher des véritables solutions à la crise. Agir, c’est difficile, voire impossible, et pourtant il le faut.

* les primes accordées à ceux qui mettent leurs terres en jachère, et c’est une contrainte pour au moins 15 % de l’exploitation.


Nous sommes 22 dans notre classe de BTS A.C.S.E. 2ème année, tous issus du milieu rural. Nous arrivons bientôt sur ce que l’on appelle le marché du travail sans véritable espoir de profession. Au début de nos études, nous avions un objectif précis quant à notre avenir : reprendre une exploitation ou exercer une profession liée à l’agriculture, alors qu’aujourd’hui notre destinée reste une inconnue...

Le père de Valéry Noury** exploite une ferme de 160 ha : « Après ma scolarité j’aimerais reprendre cette exploitation. Mais j’ai deux sœurs qui ne sont pas du tout intéressées par l’agriculture. Je vais être contraint de racheter leurs parts, mais j’en suis bien incapable car cela représente un investissement bien trop important. Alors que faire ? C’est comme cela que l’on crée des divisions au sein d’une famille... »

Nous sommes désemparés, inquiets, et perdus face à cette crise. En plus de nos difficultés économiques, nous avons un énorme problème de communication avec l’opinion publique, car jamais on ne nous donne les moyens de nous faire connaître. Lorsque les médias évoquent nos problèmes, ils les déforment et nous collent des fausses étiquettes grossières, celle du pauvre paysan inculte avec ses gros sabots, ou celle du riche exploitant beauceron. Dans le but de nous couper de la société. Il nous arrive même d’avoir honte de dire quel métier nous voulons exercer, alors que nous pensons avoir le plus ancien, le plus beau, le plus universel des métiers, et certainement le plus irremplaçable.

** élèves des classes citées.


Nous représentons la classe de terminale D’, une classe variée par ses individus, leurs différences d’origine, d’idées, de cultures et de volontés. Par contre, nous vivons TOUS dans l’incertitude. À la fin de l’année, notre classe doit avoir le bac, mais nous ne le voulons pas pour lui-même. C’est un obstacle à franchir pour enfin, peut-être, pouvoir faire des études qui nous permettront de vivre notre vie. Certains ne savent pas que faire après ce bac, s’ils l’obtiennent ; d’autres le savent, mais ignorent s’ils pourront le faire. Enfin, si l’on peut faire ce que l’on veut on ne sait pas s’il y aura quelque chose après... Isabelle Lavie** a eu son bac en juin passé, mais elle doit refaire une terminale parce qu’elle n’avait pas assez de points à son dossier pour entrer dans le BTS qu’elle souhaitait. Quant à Xavier Vendroux**, qui avait assez de points pour son BTS, il a raté son bac et doit lui aussi refaire une terminale.

Au lycée, on nous donne l’impression que seuls « les meilleurs » auront une place. On nous contraint à toujours chercher à être « au-dessus » des autres On nous met sous cloche. Mais nous ne voulons plus être catalogués. Qu’on arrête de nous étiqueter ! Nous ne sommes qu’une classe de terminale D’, mais nous sommes surtout une réunion de personnes toutes différentes, et nous avons des idées différentes qui, peut-être, permettront de donner une solution à la crise. Nous sommes tous d’accord sur le fait que dans « le nouveau monde » la personne doit tendre à sa perfection, d’où l’idée d’un chaos, d’une anarchie non pas destructrice mais constructive où chacun pourrait se sentir véritablement une personne en lui-même, mais aussi dans sa relation avec les autres. Mais l’homme est-il prêt, et ne sommes-nous pas ici pour nous y préparer ?

** élèves des classes citées.