Productions
     ACCUEIL LES PERIPHERIQUES VOUS PARLENT RECHERCHER
         
Numéro 1
"L’information n’est pas un dû mais une pratique..."
Par Federica BERTELLI, Yovan GILLES | Paru le février 1994
Imprimer

Je voudrais ici dissiper quelques malentendus liés à l’idée que l’on se fait d’une entreprise de presse- En effet, tout journal peut être considéré comme une entreprise de presse. Mais de quel modèle s’agit-il, en l’occurrence ? Nous pensons à un espace concret où entreprendre, sans exclusion et appartenance, un espace à déborder, en créant, par exemple d’autres activités, en élargissant le contexte de ses usages- Lieu de rencontre où l’écriture est liée à une culture du vivant.

Je me permets de citer, ici, une longue phrase de Foucault que notre journal pourrait faire sienne : « (...) que le pouvoir qui s’y exerce ne soit pas conçu comme une propriété, mais comme une stratégie, que ses effets de domination ne soient pas attribués à une "appropriation", mais à des dispositions, à des manœuvres, à des tactiques, des techniques, des fonctionnements ; qu’on déchiffre en lui plutôt un réseau de relations toujours tendues, toujours en activité plutôt qu’un privilège qu’on on pourrait détenir ; qu’on lui donne pour modèle la bataille perpétuelle plutôt que le contrat qui opère une cession ou la conquête qui s’empare d’un domaine. »

Le journal n’est donc pas une structure préétablie, un schéma déjà tracé qu’il s’agirait de remplir en assumant des rôles préalablement fixés, il est matière à travailler. Jeu de combinaisons et de perspectives, il traduit « un travail in progress », fait par des individus différents, eux-mêmes en évolution.

Par là, il est un véritable instrument. Instrument au moyen duquel chacun peut produire son expression, ses actions, ses réflexions. Un espace où chacun peut établir au niveau de procédures choisies en commun, quel type de collaboration il désire engager avec les autres. Chaque participant apporte quelque chose, un nouveau point de vue, une nouvelle piste. « Shifter » d’une dynamique, il introduit par là des nouveaux possibles.


Est formaliste
celui qui se cramponne à des formes, anciennes ou nouvelles. Et celui qui se cramponne à des formes est formaliste, qu’il écrive des œuvres ou qu’il critique celles des autres. (Brecht)


Pas de compartimentage : lecteurs d’un côté et rédaction du journal de l’autre, mais embrayage d’un processus à l’autre. Pas de séparation. Pas de découpage. Pas de limite, donc. Un « espace d’intervention » s’ouvre dans les rapports à créer avec le journal. Ce qui nous intéresse ce ne sont pas les critiques désengagées et conjoncturelles, bâties sur des jugements formalistes. Comme disait Brecht : « Il est absurde de vouloir élaborer une critique qui serait devant les œuvres comme le sujet devant l’objet, un pouvoir législatif par rapport auquel l’art ferait figure de pouvoir exécutif. » Ce qui nous intéresse, c’est que tout lecteur apporte ses propositions, ce qui manque, qu’il nourrisse la production par sa critique elle-même. Brecht ajoute : « La critique ne peut devenir plus artistique que si elle aide dans les faits à la production. »

Comment engager une critique productive ? C’est la question que je me pose de l’autre côté du miroir lorsque j’écris un article. Il me semble que « la critique productive » est un moment essentiel du mouvement de l’homme, de son évolution. Je me dis que pour être constructif, il faut au moins savoir ce qui fait problème, donc bien poser le problème, essayer de découvrir ce qui ne va pas, afin d’engager à la suite une dynamique, proposer, somme toute, une alternative, une issue. Une des obligations que ce journal se donne s’exprime ainsi : chaque fois que nous élaborons une analyse du pourquoi « ça ne va pas », que nous en exprimons le constat, proposons un point de sortie, une solution possible à poursuivre. C’est à ce type de collaboration que nous invitons nos lecteurs.

Federica Bertelli


Premier point : quel type de média concevoir, aujourd’hui, qui soit un outil d’expression au service des individus ? En dégageant un espace où s’exerce une parole qui ne soit justement pas médiatisée, propriété des professionnels de la presse repliés sur leurs créneaux thématiques ou soumis à la demande de leurs clientèles quand ce n’est pas à la rétribution des gangs politiques. C’est l’expression des individus qui décide de ce qu’est un journal, et non l’inverse.

Autre point : une sorte de préjugé dominant instaure cette hiérarchie entre un journal public large de type « spectaculaire » et un média culturel plus confidentiel, réputé peu accessible. Cette distinction nous paraît inconsistante. Discernons plutôt entre la consommation de l’information et son traitement. Dans ce second cas un journal ne chercherait-il pas plutôt des « usagers » qu’une clientèle ?

Les périphériques sont un espace d’intervention permettant un « retour du message ». Nous pensons qu’il peut favoriser une forme de « dépense sociale », de communication active. Nous souhaiterions qu’en tant que véhicule d’un mouvement d’idées, il puisse permettre à tous d’apporter leurs idées, de fléchir sur sa démarche, contribuer à son développement. Les « Périphériques » ce sont avant tout des individus réels qui s’adressent à des individus réels. Laissons les hommes-prothèses du médiatique se vouer avec grand talent à la préfabrication du signe et de l’événement.

Enfin nous voudrions concevoir ce journal comme une sorte de dispositif nucléaire, périphérique. Des noyaux rédactionnels pourraient se constituer non seulement dans les universités, les lycées, mais aussi dans tout autre champ socio-professionnel. Il s’agit par là d’abattre les murs d’indifférence et d’ignorance mutuelles coinçant, chacun dans un particularisme, dans une spécialité, dans un secteur ou une appartenance de groupe.

Yovan Gilles