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Numéro 0
Genèse dans les décombres
Par Cécile ROMA | Paru le avril 1993

Je me découvre réellement un affreux désir de m’exprimer : même si je croyais m’exprimer quand même un peu, je viens de me rendre compte que c’est un désir qui vient de se poser là et qui passe avant tout aujourd’hui.

Imprimer

Alors, je me demande ce que je veux réellement exprimer. Ce que je veux justement exprimer aujourd’hui, ce sont ces capacités que je crois avoir à « m’exprimer ». N’ayant pas osé le faire jusqu’ici, je veux, aujourd’hui agir à les montrer. Je veux que ces capacités soient utiles, maintenant que j’ai l’impression de pouvoir m’en servir. J’ai toujours pensé qu’il était utile de dire les choses, ce que j’ai très souvent fait, mais il m’est évident que je ne suis pas allée plus avant dans chaque chose que je voulais exprimer : je veux dire que je prends conscience maintenant, que j’ai beaucoup fait attention à ce que je disais pour l’autre, mais que j’étais, malgré tout, effacée parce que sans me servir de cette « espèce de chose » que je préférais cacher. Je n’avais pas le courage de voir cette « image » que j’avais de moi : image d’un « moi qui ose l’ouvrir » et qui ainsi se met en péril, le péril d’être trop seule alors que je pense maintenant, au contraire, pouvoir en faire quelque chose, quelque chose avec les autres. La question reste à savoir comment, par quels moyens ?


Ce qui n’est pas un état et ne peut pas se substituer à aucun état, ce qui est mouvement et N’APPARTIENT À AUCUN ÂGE, ce qui est le souffle de toute action et déborde les limites, ce qui est ouvert, tout cela, nous l’appelons "JEUNESSE".


La peinture peut être un de ces moyens, c’est celui que j’utilise à l’École des Beaux-Arts de Paris.

Mais cela me semble maintenant une activité tellement silencieuse, tellement solitaire : tel un endroit où l’on se réfugie pour, ni se comprendre vraiment, ni comprendre vraiment les autres. Je refuse de croire que cela puisse être toujours ainsi. C’est peut-être un mouvement qui sera susceptible de donner une « mouvance » à la peinture. En partant du fait que nous travaillons à changer notre regard pour qu’il soit autre, la peinture ne devrait-elle pas, elle aussi, subir une transformation afin de se dégager de ses anciennes fonctions inutiles, de se placer autrement, de s’adapter à ce monde dont elle aime s’exclure, loin duquel elle aime s’emmurer dans une tristesse qu’on ne peut nommer ?

Aujourd’hui, la peinture se dit faire partie « d’un autre monde » ou d’en être le beau complément. Elle est la plupart du temps, un refuge dans lequel s’enlisent les troubles personnels, individuels ; interprétant les sentiments malades de la société malade. Ce qui est l’essentiel pour moi, serait de lui rendre un rôle d’acteur, de faire qu’elle puisse agir par elle-même à travers moi : qu’elle puisse agir par elle-même, à travers chacun de ceux qui l’utilisent.


La jeunesse, perçue comme force de DEVENIR. La formule "elle est formée" se réfère à l’éducation. La tournure "elle se forme elle-même" traduit ce que la jeunesse fait, conçoit, exprime, veut à partir de la position qu’elle prend face à l’éducation reçue.
Cette peinture a existé, c’est dans l’histoire de l’art, dans le passé. Je parle de cette peinture qui a été événement avant toute autre chose, ces événements qui n’ont pu avoir lieu que par une transformation antérieure en rapport à leur contexte. Le contexte est autre : la peinture doit s’adapter, se développer dans le mouvement, le mouvement d’aujourd’hui. Il se trouve que les étudiants n’engagent pas, que je sache, de recherche de cet ordre. Pourquoi ? Je pense que tout simplement, ils ne savent que faire.


Beaucoup sont sensibles à ce mouvement que traduit la crise, et qui agit sur leurs singularités. Mais, au mieux, ils espèrent avoir leur place quand même, au pire, ils n’espèrent rien et survivent comme ils le peuvent : dans les deux cas, ils survivent chacun selon leurs moyens. Quelle que soit l’attitude qu’ils adoptent par rapport à ce mouvement circulaire, ils restent des interprètes, des pions ballottés par des images de survie qui se disent être la vie, des projets d’exposition qui n’amèneront au mieux qu’un peu d’argent pour survivre à la vie. Chacun se replie sur soi-même et survit à sa petite victoire, à son désespoir. Désespoir que l’on peut voir dans certains squats, définis comme des lieux où l’on fait des « créations », où l’on y trouve des « singularités qui ne cherchent pas à le devenir » par ironie, par dérision d’un désarroi qu’ils font vivre par la résignation même de survivre.

Je ne méprise pas les gens, je méprise cette résignation à la mort lente qui refuse de comprendre mais surtout qui reste dans un présent qui fait le passé, sans envisager un avenir autre : un avenir « autre », n’arrive pas « comme ça ». Il se découvre, il doit être cherché tout comme la jeunesse. Il faut prendre conscience maintenant, tout de suite qu’en ne pensant pas à l’avenir, on ne devient pas, et en ne cherchant pas à devenir, on meurt doucement.