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Numéro 12
Trajet d’un pataculteur
Par Jacques TESTART, Yovan GILLES |

Quels devraient être les rapports entre la science et l’éthique, à l’heure où la découverte scientifique se rend de plus en plus opaque au contrôle des citoyens, et quand la recherche fondamentale obéit de plus en plus à des finalités commerciales qui en confisquent l’intérêt ? La sélection de l’embryon et les avancées de la biotechnologie ne sont-elles pas en train de conduire à la programmation génétique du "petit d’homme" (pour les besoins d’un marché du bébé à la carte) induisant un nouvel "eugénisme" version "soft" ?

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EXTRAIT

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DETOURNEMENT D’UNE INNOVATION ET DERIVE DU POUVOIR MEDICAL

Très vite, je me suis aperçu qu’on détournait les techniques, non seulement au profit de gens qui n’en avaient pas forcément besoin, mais plus encore pour stimuler une compétition entre des équipes qui faisaient la même chose. A partir du moment où une technique est décrite, il y a un marché, et là, en l’occurrence, s’ouvrait un réel marché de la stérilité. Des équipes se sont montées sur toute la France. Aujourd’hui, il y en a cent en France qui font la même chose : la fécondation in vitro humaine. La compétition était telle qu’il fallait avoir de bons résultats. Il fallait innover tout le temps. Avoir de bons résultats consistait à induire l’ovulation multiple des femmes mais, au lieu de distribuer les embryons dans des utérus étrangers comme chez la vache, on remettait l’embryon dans l’utérus de la femme ayant produit les ovules après avoir fait une fécondation in vitro. Quand on obtient 10 ou 20 embryons, on ne peut pas tous les mettre dans l’utérus. Au début, on en mettait parfois cinq ou six et il en résultait des grossesses multiples. Cela a conduit parfois à des avortements et, à l’inverse, quand cela marchait, on obtenait des bébés d’un kilo à peine avec des problèmes de santé, des mères épuisées, et, au bout du compte, des couples qui se séparent dans l’année qui suit parce que avoir trois ou quatre gosses à la maison devient invivable.

Bref, ce n’était pas vraiment un succès. Sur le principe il n’était pas absurde ou inutile d’aider des gens stériles à faire des bébés, mais finalement, il y a toujours derrière le chercheur un ingénieur d’application qui veille, que j’avais d’abord connu comme étant les maquignons des coopératives d’élevage et qui, maintenant, se trouvaient être les gynécologues. J’avais l’impression que les choses étaient faites sans aucune concertation avec la population, et que ces avantages étaient ensuite concédés au plus offrant. De plus, la facilité de certains collègues pour poser devant les médias m’agaçait beaucoup. Je me suis demandé où on allait, surtout que l’on était en train de mettre au point la congélation d’embryons. Cette dernière technique était un avantage parce que, lorsqu’on recueille simultanément une vingtaine d’embryons pour un couple, il est alors bon d’en transplanter deux et d’en congeler 18 au cas où échouerait le premier essai. A partir d’un geste médical initial, on augmente les chances de procréation. Mais ce qui m’a paru le plus important était que, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, l’œuf humain était extrait du corps. Puisqu’il était fabriqué hors du corps et qu’on le replaçait ensuite dans le corps, il y avait donc un temps où il était en éprouvette et disponible. Il arriverait certainement alors un moment où l’on serait tenté d’identifier dans cet œuf des caractères divers et de ne remettre dans l’utérus de la mère que les embryons les plus convenables, à partir de critères sur lesquels les parents seraient d’accord. Cette idée pousserait la fécondation in vitro, c’est-à-dire la procréation assistée, sur le terrain de la génétique. Cette idée-là, je l’ai lancée dans "l’Oeuf Transparent" en 1986, un bouquin qui a eu un certain succès, dans lequel j’ai détaillé les raisons pour lesquelles j’arrêtais de faire de la recherche pour la recherche. Ce que j’avais vécu, que ce soit avec les vaches ou les couples, me confortait dans l’idée que la recherche doit être au service des citoyens qui la financent. Puisque la recherche publique est financée par les citoyens, faudrait-il encore convenir avec eux de ce que l’on cherche, savoir ce que l’on va faire d’une découverte, en tous cas ne pas laisser en décider les seuls professionnels. Il y a certainement des voies que l’on n’est pas obligé de prendre, d’où l’idée que je proposais alors d’un moratoire sur la recherche.
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