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Numéro 12
La perception ethnoscénologique
Par Federica BERTELLI, Jean-Marie PRADIER |

Depuis un an, nous nous intéressons aux travaux de l’ethnoscénologie, discipline nouvelle fondée par Jean-Marie Pradier [1], professeur entre autres à Paris 8. Ses perspectives rencontrent celles que nous avons au sein du Laboratoire d’études pratiques du changement, lieu de recherche, de formation et de production, auquel participe le journal ainsi que Génération Chaos.

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EXTRAIT

(...)
Les périphériques vous parlent : L’originalité de l’approche des phénomènes culturels par l’ethnoscénologie est manifeste. Dans un de vos articles, vous définissez l’ethnoscénologie comme : "l’étude dans les différentes cultures, des pratiques et des comportements humains spectaculaires organisés". Quel sens donner aux deux adjectifs spectaculaire et organisé ? D’autre part, pourriez-vous nous dire en quoi l’ethnoscénologie se distinguerait de la scénologie tout court ?

Jean-Marie Pradier : L’ethnoscénologie est née dans un climat favorable, au moment de l’effondrement de certaines théories figées et très morcelantes, qui considéraient par exemple les comportements spectaculaires, dont le théâtre et la danse, dans une perspective résolument intellectualiste, au sens pathologique du terme. Elle est née aussi à un moment où l’on a fait avancer les choses dans le domaine de l’interdisciplinarité. L’ethnoscénologie est par nature transdisciplinaire, en référence à des corps de savoir scientifique, à des méthodes, à des épistémés comme par exemple la neurobiologie, l’anthropologie, la linguistique, la sociologie, mais aussi à la connaissance des praticiens. Elle est née aussi à un moment où l’on s’intéresse de plus en plus aux formes spectaculaires qui viennent des autres et du très lointain. Mais l’ethnoscénologie doit s’intéresser également aux pratiques européennes et euro-américaines et ne doit pas être réservée aux peuples sans écriture, aux primitifs, aux ex-colonisés.

Alors, pour répondre à votre question, il faudrait faire un très long détour, puisque depuis sa date de fondation en 1995 l’ethnoscénologie a revêtu plusieurs définitions. Tout d’abord, il faut préciser que si l’intuition de l’objet de cette discipline était présente, en revanche les termes pour l’expliciter n’étaient pas au rendez-vous. La langue française ne dispose pas de termes qui pouvaient rendre compte de cet objet. Quand on parle d’ethnomusicologie par exemple, le terme musique est fort, il y a un concept fédérateur, un noyau sémique, alors que dans "ethnoscénologie" - qui est d’ailleurs intraduisible en chinois pour cette raison - ce que l’on désigne ne peut être dit par une très longue périphrase.

D’ailleurs, quand il a fallu choisir un nom, certains voulaient l’appeler ethnothéâtrologie. Je disais "surtout pas !", parce que rien n’est plus ethnocentrique que la notion de théâtre. Pourquoi pas alors dans ce cas-là ne pas l’appeler l’ethno-no-ologie, du théâtre Nô ou l’ethno-kabouki-logie ? Ce qui fait que les Africains auraient protesté. Pourquoi ne pas l’appeler comme ceci ou cela ? C’est absurde. Alors, dans les dictionnaires grecs, j’ai trouvé que le terme skenos avant de désigner la scène et une scène de théâtre, désignait non seulement un espace couvert, un espace où peuvent avoir lieu des événements, mais aussi le corps. J’ai donc proposé ethnoscénologie et j’ai bataillé pour que ce soit accepté.

[1Parmi les participants, on trouve entre autres : Claude Planson, Président d’honneur du Centre international d’ethnoscénologie, ex-directeur du Théâtre des Nations et Patrice Pavis, professeurs au département théâtre de l’Université Paris 8.