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Numéro 14
Vers le clonage humain
D’une éthique en petit comité à une éthique citoyenne
Par Jacques TESTART, Yovan GILLES |

Nous présentons ici la dernière partie d’un texte paru dans le numéro 12. Jacques Testart y racontait son parcours de chercheur, l’histoire des méthodes de fécondation assistée qu’il contribua à développer, ainsi que sa prise de conscience des problèmes éthiques, politiques, idéologiques posés par la récupération de ces techniques à des fins mercantiles. Parce que la science n’est pas pure et désintéressée, de nouvelles formes d’eugénisme sous la forme de la sélection de l’embryon sont, aujourd’hui, parfaitement envisageables, pour peu qu’ils s’harmonisent à une demande du marché. Dans cette dernière partie, Jacques Testart, définit les responsabilités du comité d’éthique concernant les dérives techno-scientifiques. Plus encore, c’est la notion même d’expertise scientifique qui est ici en mis en cause.

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EXTRAIT

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Je crois qu’il y aura toujours des pathologies, les gens seront toujours mortels, et il est clair qu’il n’y aura jamais de bébé parfait. Il y a le bébé qu’on pourrait dire idéal, celui dont les parents rêvent et qui est mieux que la moyenne. On peut imaginer que, dans quelques siècles, on fabrique des enfants qui seront d’une qualité biologique et médicale inédite. Qu’en fera-t-on alors ? On ne les laissera certainement pas polluer leurs gènes en copulant avec n’importe qui. On sera tenté de les cloner. Cela me paraît assez logique au regard de ce que l’on est en train de vivre et de faire aujourd’hui. Avec l’accélération des techniques, d’une part, et l’exigence de qualité d’autre part, il me paraît probable que le clonage soit l’aboutissement inconscient de nos activités de procréation assistée. Voilà comment je pourrais définir l’avenir, en étant optimiste.

J’en viens au rapport entre les experts et les citoyens. Cela fait maintenant une quinzaine d’années qu’il y a, de par le monde, des comités spécialisés qui s’appellent des comités d’éthique. Il existe aussi des législations dans certains pays. En France, il y a une loi sur la procréation assistée depuis 1994. Pour ce qui est de l’Europe, il y a actuellement des essais pour aligner ces lois sur des normes européennes, et il est clair qu’on s’alignera sur les pays qui sont les plus libéraux, les plus laxistes, c’est-à-dire essentiellement la Grande-Bretagne et l’Espagne, qui exercent des pressions très fortes. Ces structures délibératoires sont-elles démocratiques ? Comment fonctionnent-elles ? Le Comité National d’Éthique français est un des plus anciens comités permanents de par le monde, il comporte environ trente-six personnes que les journalistes appellent des sages. Ce sont des médecins ou des chercheurs, pour la plupart, désignés en tant que tels, étant donné qu’on part de cette idée que, dans un comité d’éthique, il faut avoir des gens compétents. C’est une idée à la fois absurde et anti-démocratique : vu les spécialisations de la science et de la médecine aujourd’hui, si on voulait avoir des compétences, il faudrait avoir non pas trente-six membres, mais dix mille. Moi, par exemple, je ne comprends rien au langage des immunologistes, c’est un autre domaine que le mien dans la biologie médicale. Les spécialistes des greffes d’organes, c’est encore un autre monde et ceux qui travaillent sur les virus, les prions, encore un autre. Il y a des mondes de plus en plus spécialisés et cloisonnés. Et ce n’est pas parce que l’on aura mis trente-six personnes dans un comité qu’on aura établi une compétence en matière d’éthique. Un autre danger est l’esprit de corps qui anime ces gens persuadés que l’on ne peut pas arrêter le progrès de la science, que la recherche doit avoir des crédits, ne doit pas être critiquée et qu’elle est à l’évidence fondamentale, pure de tout compromis.

Dans ces conditions, je vois mal comment on peut accepter une juridiction qui découlerait de l’avis d’un comité. En fait, le comité d’éthique n’émet pas de lois, c’est une instance de réflexion importante puisque la Loi française légifère à partir des avis du comité d’Éthique. Comment une instance peut-elle à la fois réunir l’expertise et le jugement, c’est-à-dire être juge et partie à la fois ? C’est une notion en droit parfaitement condamnable et pourtant elle est valable dans les comités d’éthique. On accepte dans les jurys d’assises un boulanger ou un instituteur alors qu’on les refuse dans un comité d’éthique. Pourquoi le citoyen est-il consulté pour condamner quelqu’un à la perpétuité, et non pour se prononcer sur le cas des mères porteuses ? Cela démontre le pouvoir de la science dans notre société. Aussi il faudrait que l’éthique soit démocratisée, qu’elle sorte du cadre du comité. En réformant par exemple les médias quand, dans des faux débats, quinze personnes parlent de trente sujets en une demi-heure à la télévision. Il faudrait avoir de vrais sujets qui soient suivis au jour le jour et auxquels les citoyens puissent participer d’une manière ou une autre. Au niveau des instances, il faudrait ajouter, d’une part, des instances de professionnels de la réflexion (des historiens, des philosophes, des psychologues...) et, d’autre part, de simples citoyens. Il me semble que le fait de dénier par exemple à des artistes le droit d’intervenir dans un débat d’éthique, c’est-à-dire dans un débat de société, trahit déjà un programme et montre le scientisme à l’intérieur de ces murs. Il faudrait également des individus volontaires qui accepteraient de lire les trois ou quatre bouquins sur le sujet et qui en sauraient autant que les médecins du comité d’Éthique. Comment ferait-on alors pour prendre des décisions ? En faisant venir bien sûr des experts, les meilleurs experts du monde sur des questions techniques, des experts contradictoires. Les experts s’étant prononcés, le comité délibérerait alors : "Merci, Messieurs les experts, vous pouvez vous retirer, maintenant, le comité va se consulter". Il ne faut pas d’experts pour prendre une décision d’intérêt général.
(...)