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Numéro 14
Pratiques caribéennes de l’écologie
La créativité et le politique
Par Antoine DENARA, Christopher YGGDRE, Garcin MALSA |

Le Modemas est aujourd’hui porteur de questions qui, dans les prochaines années, pourraient bien gagner du terrain, si se précisent les menaces de désastres écologiques qui guettent la Martinique. En même temps, ce mouvement fait entendre une aspiration diffuse, à savoir que le peuple martiniquais ne monnaie pas son devenir à une économie de marché qui dépossède le pays de ses possibles et de ses richesses. D’où la notion de souveraineté. Celle-ci ne signifie pas que l’autonomie du peuple martiniquais passerait par un statut d’indépendance, mais, au contraire, que son autonomie n’est souhaitable que si la Martinique, prouve dans ses réalisations, qu’elle peut se défaire des dépendances qui limitent actuellement sa liberté et sa créativité.

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EXTRAIT

(...)

Marc’O : C’est à très bon escient que vous avez choisi le terme de souveraineté par rapport à celui d’indépendance. Si j’ai bien compris, il ne s’agit pas pour vous de vous emparer des appareils d’état pour constituer un état sur le modèle des autres états, mais de constituer un nouveau type d’organisation politique qui n’existe pas encore. Aujourd’hui, accéder à l’indépendance dans une époque où domine un capitalisme qui se manifeste par la mondialisation de l’économie, où les nations perdent de plus en plus de pouvoirs, pose des problèmes radicalement nouveaux. Votre combat peut être particulièrement important, dans la mesure où vous pourrez peut-être nous dire quelles structures politiques peuvent se manifester et se créer dans ce contexte.

Ce qui me semble également intéressant dans ce que vous venez tous les deux de nous dire c’est cette articulation entre le politique et le culturel. Généralement, on crée un clivage et une coupure profonde entre l’action politique et la culture. Au contraire, vous semblez faire tomber ce clivage, en ne subordonnant pas l’un à l’autre. Est-ce que vous pourriez préciser votre point de vue à propos de ce rapport entre culture et politique ?

Garcin Malsa [1] : Toute politique est profondément culturelle, parce que l’homme lui-même qui agit transformer, il tient une position culturelle. Frantz Fanon disait que c’est la culture qui va nous ouvrir les portes de la souveraineté. C’est fondamental.

Nous ne voyons pas l’écologie comme la voient les naturalistes, ou bien ceux qui protègent les petits animaux, les petits oiseaux. C’est bien tout ça. C’est bien… Mais ce qui est fondamental aujourd’hui c’est de comprendre que nous avons besoin de tous les éléments que l’on trouve dans notre environnement naturel pour pouvoir changer, transformer la société. Nous ne pouvons pas dire aujourd’hui que le plus petit élément vivant de notre environnement puisse être écarté de notre vision, de notre perception de la vie. C’est pourquoi nous estimons que c’est dans la diversité que nous allons nous enrichir. Plus il y a diversalité, plus nous sommes riches, comme disait Edouard Glissant. Le monde est ainsi fait. Il ne faut pas être effrayé par les violences que nous voyons autour de nous, mais chercher à les comprendre. La violence est un phénomène culturel.

Pour bien montrer notre spécificité, je vais vous raconter nos premières discussions avec les Verts français . Ils n’arrivaient pas à comprendre - à l’époque j’étais président de la Saupamar -, comment une organisation écologique qui attaque pratiquement tous les pouvoirs politiques qui existent en Martinique et ailleurs, arrivait à avoir un tel écho, un écho si puissant dans les populations. Parce qu’effectivement celles-ci comprenaient notre langage. Ce langage n’a rien à voir avec un langage classique, politicien, s’appuyant sur des intérêts partisans, de clan. L’écologie, pour nous, c’est cette capacité culturelle de réunir les diversités, celle encore de mettre en mouvement ensemble toutes ces diversités pour faire une unité, c’est-à-dire cette planète que nous devons défendre ensemble.

Antoine Denara [2] : En fait, la différence entre la mouvance écologique en Martinique et les Verts français, se fait au niveau des pratiques sociales. L’écologie politique en France est sans pratiques sociales. Souvent, nous nous disions, contrairement au capitalisme et au socialisme, l’homme n’a pas pour mission de dompter la nature. L’humanité est un écosystème qui doit chercher à s’harmoniser avec l’ensemble des écosystèmes qui existent sur la planète.

Pour revenir, à la notion de culture, même si le discours dominant voudrait laisser penser que la culture a un rôle secondaire, il s’appuie sur la culture pour mieux dominer. Puisqu’on peut dire aujourd’hui que ce que l’on appelle Pensée Unique s’incarne dans le culinaire, le vestimentaire, le mode de vie. Lorsque nous passons dans différentes métropoles, les jeunes s’habillent de la même manière, bouffent la même chose, les produits sont américanisés, du moins pro-occidentaux, c’est là que se trouvent que les menaces. Ces jeunes sont décentrés de leur milieu de vie, de leur environnement social et culturel.

[1Maire de Sainte-Anne, et Président du Modemas.

[2Biologiste et membre fondateur du Modemas.