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Numéro 15
Les Enfants de la Bombe
Par Christopher YGGDRE, Gabriel TETIARAHI |

Le paradis touristique qu’est la Polynésie Française cache l’autre scène d’un enfer écologique, où les essais nucléaires ont eu des effets qui frappent de plein fouet des populations à qui l’on a cachées que la splendeur du champignon atomique n’a d’égale que son rayonnement mortel. Dans cet entretien, qui est aussi le témoignage d’un des "enfants de la bombe", Gabriel Tétiarahi relate les circonstances d’un mensonge à ciel ouvert et nous parle d’une identité culturelle polynésienne qui persiste à exister.

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EXTRAIT

(...) Les périphériques vous parlent : Quelles sont précisément les conséquences des essais nucléaires français sur la Polynésie ? Pouvez-vous nous parler de cette enquête indépendante2, à laquelle Hiti Tau a participé, qui a été menée auprès d’anciens travailleurs polynésiens du CEP [1] ?

Gabriel Tetiarahi [2] : Au moment de la reprise des essais nucléaires décidée par Jacques Chirac notre première réaction a été de rassembler une armada de petits bateaux pour mettre le cap sur Moruroa afin de tenter d’arrêter le premier tir. Notre deuxième réaction a été de construire illégalement un village de la paix en plein centre ville de Papeete face au bureau du Haut-Commissaire de la Présidence du Gouvernement territorial, et d’y rester pour en faire un lieu de coordination de toutes les manifestations que nous organiserions. Beaucoup d’entre-nous ont été arrêtés sur les bateaux. Nous avions réuni plus d’un million quatre cent mille cartes postales de protestation dans tout le Pacifique, une délégation de douze jeunes s’était rendue à l’Elysée pour les déposer en septembre 1995. Nous étions très actifs, et nous étions six cent tous les jours. Nous avons reçu vingt-quatre mille visiteurs du monde entier. Nous nous sommes rendus compte que parmi ceux qui participaient au village de la paix, il y avait un certain nombre d’anciens travailleurs polynésiens qui avaient décidé de parler. C’était tout à fait nouveau. Jamais ils n’avaient voulu témoigner par le passé, ils nous racontaient leur vie. Bien sûr, pour la première fois ils bravaient les interdits, les "tabus" des contrats signés avec les militaires français. S’ils parlaient, ils seraient menacés de mesures de rétorsion en tout genre. Nous nous sommes dits qu’il fallait les mettre en avant, eux qui avaient été en contact quotidien avec la radioactivité. Ce sont eux les premières victimes. Nous avons posé des recours au Parlement européen, à l’ONU contre la reprise des essais nucléaires. Nous savions pertinemment qu’ils n’aboutiraient pas, mais il était important que l’on sache les conséquences de la radioactivité sur les anciens travailleurs du nucléaire. L’objectif de cette enquête, réalisée entre mars 1996 et octobre 1997, intitulée Moruroa et nous, était de donner la parole aux victimes. Les conséquences sont d’abord d’ordre sanitaire. Nous avons rencontré des personnes de 45 ans qui en paraissaient 90. Des ouvriers nous ont dit qu’ils avaient perdu quatre enfants, qu’ils avaient commencé à travailler à Moruroa alors qu’ils n’avaient que 12 ans, qu’ils avaient été utilisés comme cobayes. Pendant toute l’enquête, nous avons rencontré des personnes souvent sans aucune ressource, qui aspiraient à une reconnaissance et à des compensations. Ce sont aujourd’hui des personnes abandonnées. Il y a des épouses qui n’ont jamais revu le corps de leur mari après qu’il ait été soigné à l’Hôpital militaire du Val-de-Grasse, les corps revenaient dans des cercueils plombés. C’est le black-out total. Elles attendent toujours un geste de reconnaissance du gouvernement français. (...)

[1CEP : Centre d’Expérimentation du Pacifique (essais nucléaires).

[2Fondateur de l’Organisation Non Gouvernementale polynésienne Hiti Tau.