Productions
     ACCUEIL LES PERIPHERIQUES VOUS PARLENT RECHERCHER
         
Numéro 17
Considérations sur la fin de la fin du travail
Entretien avec Alain Caillé - 1ère partie
Par Alain CAILLE, Yovan GILLES |

Dans ce premier entretien, Alain Caillé [1] éclaire les raisons pour lesquelles les individus éprouvent de plus en plus de peine à trouver du sens à leur travail. La société de consommation de masse accule les salariés à louvoyer dans des cercles s’avérant plus vicieux que vertueux quand occuper un emploi devient le seul moyen de s’affranchir du travail et, quand le "travailler pour consommer" tient lieu d’une émancipation illusoire dont les individus peinent à se départir. Ce premier entretien fait également une large place au récit des évolutions sociales et économiques de ces vingt dernières années qui ont vu des reformulations successives du rapport au travail. Dans l’entretien qui paraîtra dans le prochain numéro, nous aborderons les possibilités d’alternatives à un salariat de plus en plus fragilisé autant par les mutations technologiques que par la désaffection d’une société qui tend irrésistiblement vers la marginalisation du temps de travail, moins à l’avantage du loisir qu’à celui d’un temps libre qui serait consacré à la réalisation de soi.

Imprimer

Extrait

(...) Notre revue critiquait très fortement la subordination générale aux valeurs du travail au nom des valeurs de libération humaine par le non-travail, c’est-à-dire par l’action. C’est dans ce sillage que nous avons été les premiers en France à plaider pour l’institution d’un revenu minimum inconditionnel, non une allocation universelle, mais ce que j’ai appelé un revenu de citoyenneté. La justification en a été simple et je crois encore légitime : ce qu’il s’agissait de faire advenir à travers une telle mesure, en tout cas dans mon esprit, c’était la reconnaissance par la société d’une pluralité des valeurs ultimes, autrement dit, une pluralité des modes d’existence possibles.

S’il faut faire place à ceux qui veulent travailler et s’enrichir, ce qui est un choix légitime et concevable, pourquoi ne pas faire place également à ceux qui désirent échapper à la condition salariale et qui, inéluctablement, sont enclins à accepter une certaine pauvreté (mais non la misère), laquelle représente la contrepartie d’un désir d’art, d’aventure, d’oisiveté consentie ou, tout bonnement, de renoncement volontaire au travail ? L’idée de ce revenu était, par cette valorisation de la pluralité humaine, de favoriser la démocratie. C’est ainsi qu’en 1987 nous avons fait paraître un premier numéro sur cette question. Le Revenu Minimum d’Insertion a été créé quelque temps après, fin 88 début 89 sous le gouvernement Rocard. Rappelons-nous le climat de l’époque. Le RMI a été perçu comme la création d’un revenu minimum inconditionnel, ce qu’au bout du compte il n’a pas été. Cette inconditionnalité apparaissait pourtant comme l’aboutissement normal d’un processus de civilisation et d’humanisation dans le cadre d’une société prospère. Il y avait à l’époque encore relativement peu de chômage par rapport à ce qu’on connaîtrait par la suite, et les quelques centaines de milliers de chômeurs apparaissaient comme une incongruité absolue et intolérable dans le cadre d’une société civilisée. Aussi, pour tout le monde, il était admis que ceux qui n’avaient pas pu raccrocher le train de la prospérité bénéficient d’un tel revenu. (...)

[1Alain Caillé, directeur de La Revue du MAUSS, est professeur de sociologie à Paris X-Nanterre où il dirige le GEODE (Groupe d’étude et d’observation de la démocratie), associé au CNRS, et le DEA Société, économie et démocratie.

Derniers livres parus : Anthropologie du don, Le tiers paradigme, Desclée de Brouwer, Association, démocratie et société civile (avec J. L. Laville, P. Chanial et Alii) à La Découverte/MAUSS, 2000 ; Histoire raisonnée de la philosophie morale et politique, Le bonheur et l’utile (sous la direction de A. Caillé, C. Lazzeri et M. Senellart) à La Découverte, 2001.