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Numéro 17
Edito
Par Les Périphériques vous parlent |
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Ce nouveau numéro paraît dans le contexte d’un après-guerre en Irak précaire et incertain.

Nous pourrions nous appesantir sur les raisons ultimes, au demeurant voilées, de l’avènement d’une telle guerre préventive. S’est-elle produite sous l’effet d’un patriotisme vengeur ou, plus prosaïquement est-elle l’expression d’un esprit de lucre au service de la mondialisation, s’appuyant sur les derniers prodiges de la technoscience ? Georges Bataille disait "qu’il en est de la noblesse du guerrier comme d’un sourire de prostituée, dont la vérité est l’intérêt".

Tout ce que nous savons, de façon provisoire et tremblante, c’est que cette guerre est loin d’être une affaire à classer dans la longue liste des conflits d’ingérence impérialistes auxquels les gouvernements des Etats-Unis nous ont habitués depuis la Guerre Froide. L’opposition massive à cette intervention, de par le monde, n’a pas été entendue.

A vrai dire, on ne désarme pas la Morale, surtout lorsque celle-ci emprunte le masque d’un évangélisme démocratique qui n’a rien à envier aux missions civilisatrices de jadis chères aux puissances européennes coloniales, dont les réticences récentes à l’intervention américaine remuaient, en partie, les vestiges d’une splendeur perdue. Cette Europe dominatrice, qui a aujourd’hui trouvé son maître, prétendait alors répandre sur le monde les bienfaits de ses lumières, pénétrée de religieux et de rationnel tout à la fois.

Aujourd’hui, avec l’économisme régnant, qui fait de la réalité économique le seul réel estimable, le bénéfique se confond avec le bénéfice, quand l’idéal démocratique est assimilé à la liberté du marché. Cela est à la fois nouveau et vieux. Depuis la fin du 18ème siècle, les idéologies économiques dominantes n’ont jamais manqué de souligner que le libre échange et la capitalisation de tout ce qui peut l’être représentaient les chemins les plus fiables menant au "bonheur humain".

Mais le plus important, aujourd’hui, sur fonds d’une interminable guerre économique, réside dans le fait que les récents évènements laissent le religieux envahir le terrain du politique. On nous propose de choisir entre deux intégrismes à l’intégrité douteuse et de pure façade : entre une djihad de barbus milliardaires et les imprécations d’imberbes boursicoteurs.

La lutte du bien contre le mal présuppose ainsi deux camps antagonistes cramponnés à des certitudes érigées en absolus. Cette rhétorique brutale s’accompagne d’une simplification extrême de la complexité de la situation mondiale, qui a de quoi affoler.

Dans ce concert de voix intransigeantes, la pensée et les positions éthiques ont du mal à se faire entendre. L’éthique, à la différence de la morale, se nourrit de doutes, de délibérations, de mises en questions, d’hypothèses quant aux conséquences probables des actions humaines. Ainsi, les "valeurs" ne valent qu’à être réévaluer en permanence à la lumière de l’évolution imprévisible des contextes et de l’infinie variabilité des contingences de l’histoire.

Sous l’apparente ouverture des marchés et des flux communicationnels qui sembleraient estomper les frontières entre les peuples, la mondialisation et ses basses œuvres, la guerre, ne font que renforcer au contraire la constitution des blocs continentaux en durcissant des antagonismes suicidaires qui postulent chacun, au mépris de l’autre, à l’universelle vérité. De l’autre côté, la clameur des particularités menacées est aussitôt réduite au silence.

Jamais, peut-être comme aujourd’hui, la mondialisation n’a autant usurpé son nom. A l’inverse, comme l’écrit Edouard Glissant récemment : "(…) c’est que peu à peu nous commençons de considérer, de ressentir, que ces situations des peuples sont inextricables les unes des autres, ou que le devenir de chaque personne ne se décide plus, si individualistes et soucieux de liberté-de-soi que nous soyons, en dehors d’une dynamique échévelée du Tout, d’une haute pensée du monde, que j’appelerais non pas mondialisation, (ç’en est tout le contraire), mais mondialité."